Recycler ou Réutiliser ?
The Nature Letter on Sunday #024 - L’économie circulaire doit faire encore de gros progrès ! De nouveaux modèles industriels et économiques doivent être mis au point
Nous avons abordé les problématiques liés aux déchets dans plusieurs articles notamment sur les textiles et sur les plastiques.
Ces articles ont mis en lumière l’urgence de réduire ces pollutions compte tenu de leurs effets très négatifs sur l’environnement et notamment les centaines de millions de tonnes de déchets plastiques se déversant chaque année dans les décharges et dans les océans.
L’échec en décembre des négociations à Busan en Corée du sud visant à signer un traité mondial contraignant sur les plastiques renforce aussi notre devoir de réfléchir de manière plus approfondie aux possibilités d’action.
Dans ce cadre, nous avons choisi de regarder de plus près les possibilités que nous offrent l’économie circulaire.
La priorité doit être donnée à la réutilisation.
Dans un article sur les efforts circulaires de la ville d’Amsterdam, nous avions rappelé la définition de l’économie circulaire par rapport à notre économie traditionnelle «linéaire» :
Une économie linéaire est une économie où nous utilisons des ressources naturelles pour produire des matériaux ou des objets qui deviennent ensuite des déchets. Cette économie qui est notre économie actuellement dominante, les modèles économiques s’appuient sur la consommation maximum des ressources naturelles et la croissance de la production et de l’usage d’énergie.
Une économie circulaire est une économie où nous minimisons les déchets en réduisant, réutilisant, recyclant et “up-cyclant” les produits et matériaux déjà existants ou naturels pour leur donner une nouvelle vie et le faire en circuit court (réduisant les transports et les distances) en permettant donc de réduire l’utilisation d’énergie et les émissions de CO2.
Les différents modes de l’économie circulaire ne sont pas tous équivalents :
Le recyclage :
Il peut consommer parfois beaucoup d’eau et d’énergie, générer lui-même des émissions et utiliser diverses matières chimiques potentiellement toxiques (les solvants par exemple pour le recyclage des plastiques).
Il génère des pertes en ligne (uniquement une part des matériaux et des produits sont recyclables).
Il n’est généralement pas infini, c’est à dire que le recyclage à nouveau d’un produit déjà recyclé n’est pas toujours possible.
Le réemploi, l’emploi “long” d’un produit ou d’un materiel, la réutilisation et l’ «Upcycling» apportent eux des avantages significatifs :
Ils permettent d’étendre la vie des produits en trouvant un nouvel usage ou un nouveau utilisateur via :
La réparation.
Les achats/ventes de «seconde main».
L’utilisation des stocks invendus.
Le réemploi et la réutilisation.
Par exemple, pour les matériaux de construction.
Le reconditionnement.
L’ »Upcycling» qui consiste en une réutilisation innovante permettant de continuer l’utilisation en en changeant complètement l’usage.
Le textile est aussi très propice pour cette méthode comme le montre ces exemples faisant appel à beaucoup de créativité artistique.
Il est donc évident que :
La réutilisation et le réemploi sont les modes à privilégier chaque fois que cela sera possible.
Le recyclage reste utile notamment en fin de cycle de vie quand une réutilisation n’est plus possible.
Notre mode de pensée économique reste principalement l’économie linéaire plutôt que l’économie circulaire.
De ce fait, Les investissements et les efforts au niveau mondial ont porté pour l’instant surtout sur le recyclage :
Par exemple, la France mobilise 300 millions dans le plan “France 2030” pour le recyclage et notamment sur le recyclage chimique (solvant permettant de défaire les polymères de plastique pour refaire du plastique neuf) avec 13 usines prévues en France.
La France n’a en revanche pas fait d’investissements publics de même ampleur sur la réutilisation et le réemploi.
Les pays pétroliers insistent sur le recyclage dans le cadre des discussions sur le traité mondial sur le plastique. Le recyclage leur permet de continuer de développer leur production primaire de plastiques dérivés comme nous le savons du pétrole. Ils sont peu intéressés par la mise en place de modèles circulaires réduisant la production primaire de plastiques.
Un gros travail doit être fait sur les modèles industriels et opérationnels.
Les efforts donc doivent s’intensifier sur le développement de la réutilisation et du réemploi.
Afin de faciliter la réutilisation, nous devons développer au moins quatre modes clefs de conception industrielle et opérationnelle :
Une conception initiale prévoyant le réemploi :
C’est par exemple la mise en place de notices de montage et de démontage dans la construction pour permettre aux installateurs d’équipements de s’assurer de pouvoir réutiliser les matériaux.
C’est aussi une réflection sur la réparation et sur le choix de composants en évitant l’utilisation de matériaux trop différents et en privilègiant ceux dont la durée de vie est longue.
C’est enfin une conception permettant de rendre accessible les points de connections entre les différentes parties ( cloisons amovibles, connecteurs entre pièces) et évitant l’utilisation d’adhésifs qui obligent à la démolition ou la destruction.
La mise en place d’infrastructures partagées et spécialisées pour la réutilisation pour permettre de pouvoir partager les coûts des entrepôts ou des unités dédiées à la réutilisation comme par exemple les plateformes de reconditionnement, de réparation, ou de remise en conditions d’utilisation.
La standardisation permettant le « pooling » permettant ainsi des effets d’échelle. Il est nécessaire de pouvoir augmenter les quantités issues de la réutilisation permettant d’être offertes et échangeables facilement sur le marché.
La modularité. Il s’agit la d’un concept permettant de pouvoir gérer de manière flexible la réutilisation au niveau de composants unitaires plutôt que sur l’ensemble d’un produit. C’est vrai dans tous les secteurs (la construction, les industries automobiles, le packaging).
Nous pouvons partager deux exemples illustrant ces principes :
Le modèle des emballages avec l ‘étude faite par la Ellen Mc Arthur foundation.
Les voitures pour pouvoir concevoir une architecture en modules permettant de remplacer des parties complètes tout en conservant certains composants. Des premières expériences sont en cours.
Les modèles économiques sont en parrallèle à réinventer.
Afin de permettre la réutilisation, il convient aussi de revoir les modèles économiques.
L’économie linéaire qui est notre mode de fonctionnement principal est fondée sur une économie de production qui ne responsabilise pas les acteurs sur la question du déchet :
Les achats de nouveaux produits/matériels et l’augmentation continue des volumes de la consommation (Chiffre d’affaire = volume de produit * Prix unitaire) sont les vecteurs uniques de croissance.
Un produit dont on se sépare et qui devient un déchet n’a plus de valeur. Le coût environnemental et économique de traitement de ce déchet n’est en revanche lui pas repercuté au producteur ni au consommateur direct mais c’est la collectivité qui doit prendre en charge ce déchet.
Une activité pour laquelle on produit énormément de produits à bas coûts et bas prix peut néanmoins être attractive pour le consommateur même si elle génère beaucoup de déchets et de gros dégâts environnementaux («ultra fashion» par exemple).
L’économie circulaire doit au contraire être une économie d’usage prenant en compte la dimension environnementale :
Elle doit pouvoir valoriser la valeur d’utilisation et de réutilisation d’ un produit tout au long de la vie de ce produit.
Elle doit pouvoir donner un prix du temps. Un produit doit avoir plus de valeur si il est utile plus longtemps.
Elle doit pouvoir encourager La possibilité d’échanger un produit avec un autre.
Elle doit pouvoir faire bénéficier d’une prime les usages permettant de minimiser voir d’annuler la production de déchets et leurs coûts pour la collectivité.
A contrario, les activités générant beaucoup de déchets devront être pénalisés pour refléter le coût environnemental et de traitement de leurs déchets.
C’est donc un état d’esprit très différent qui doit permettre à l’économie circulaire de s’épanouir.
Nous pouvons voir des évolutions timides allant dans la bonne direction avec la mise en place de pratiques circulaires dans les circuits existants et l’émergence de startup dans ces domaines :
La France a instauré un bonus réparation qui permet une incitation à l’extension de la durée de vie.
Les systèmes de consigne qui permettent de valoriser la réutilisation des bouteilles et des emballages se développent progressivement en Europe.
Le “Leasing circulaire” qui consiste à évoluer d’un modèle d’achat vers un modèle de location couplé à la prise en charge de la réutilisation et du remploi est très attractif. L’ensemble des acteurs du leasing se mobilisent d’ailleurspour rendre leur offre plus circulaire.
La mise en place de plateforme de “seconde main” et de reconditionnement comme le groupe ares.
Le développement d’un écosystème d’organisations et de startup dans le domaine de la « seconde main », réutilisation et le réemploi :
Déchets électroniques: Circular Computing, EcoATM, groupe ares.
Textiles : The Renewal Workshop, smatch , Faume, My Little Coupon, OMAJ, Redonner.
Automobiles: Reparcar.fr.
Emballages : RePack.
Nous venons donc de confirmer que l’économie de la réutilisation et du réemploi restent encore à developper fortement grâce à la mise en place de modèles de conception industriels, opérationnels, et économiques conçus pour une économie circulaire performante. Cette priorité est particulièrement importante pour les secteurs fortement générateurs d’impacts environnementaux et de santé (emballages et plastiques, textiles, construction, produits électriques et électroniques, véhicules). Nous continuerons à suivre dans nos articles futurs les progrès faits par l’économie circulaire.
Bonne semaine
Philippe
https://o2nature.substack.com