Comment s’attaquer à la pollution plastique par les textiles ?
The Nature Letter on Sunday #020 - le textile est notre plus grande bataille contre les plastiques
Les négociations sur le premier traité mondial contre la pollution plastique ont échoué ces derniers jours à Busan en Corée du Sud. Un nouveau cycle de négociations doit s’ouvrir pour tenter de finalement aboutir en 2025 sur un premier accord.
Nous avions relevé dans notre dernier article sur la gouvernance climatique mondiale le caractère positif de voir 170 pays se réunir pour la première fois pour traiter ce problème si crucial pour notre planète. Nous avions noté cependant les gros efforts restant à faire dans la prise de conscience et le traitement de ce problème planétaire.
Nous avions également identifié l’espoir que pourrait représenter les micro organismes dans un article sur le sujet pour réduire l’impact environnemental des plastiques.
Rappelons d’abord pourquoi la croissance explosive de la pollution plastique est une menace absolue pour notre planète.
Les chiffres sur la pollution plastique sont vertigineux :
Le monde produit annuellement 400 millions de tonnes métriques de plastiques. La vitesse de croissance de cette production est hors contrôle. Au rythme actuel, celle-ci atteindra environ 1.1 milliard de tonnes métriques en 2050.
Les plastiques sont responsables de 1.8 millard de tonnes métriques d’émissions de gaz à effet de serre. Celle-ci viennent de l’extraction du pétrole et du gaz, le processus de production de ces plastiques et l’incinération et le recyclage en fin de vie. C’est déjà plus que le secteur de l’aviation dans son ensemble. Les prévisions de l’OCDE tablent sur un chiffre de 2.5 milliards de tonnes métriques en 2050.
Les plastiques sont une pollution de notre biosphère et représente une grosse part des déchets non recyclés et finissent dans notre environnement. Il est estimé qu’un tiers des plastiques produits finit dans les sols, les courants d’eau et les océans Les statistiques sont absolument catastrophiques comme le montre cet article de la BBC sur le sujet. De grandes concentrations de plastique océanique sont clairement visibles depuis l’espace en mer Méditerranée Orientale et en Mer Jaune( entre la Chine et la Corée).
Les plastiques ont un impact négatif sur la santé à travers l’impact des microplastiques qui pénètrent dans les vaisseaux, les cellules du corps, le cerveau. Les microplastiques qui résultent de la dégradation des polymères sont partout dans notre environnement (nourriture, eau, océans, environnement). Les recherches ne font que débuter sur le sujet mais il est clair que l’impact sanitaire des microplastiques sur la santé est très fort.
Pourquoi s’attaquer aux plastiques textiles est une priorité ?
Tout d’abord, le textile est avec les emballages et la construction un des trois secteurs principaux utilisant des plastiques et représente 14% de de la demande mondiale.
Les fibres naturelles (coton, lin etc) ne représentent plus qu’un tiers des fibres textiles. Les 2/3 sont maintenant constituées de fibres synthétiques plastiques (Nylon, Polyester etc) et la demande explose pour les fibres synthétiques qui permettant de produire de plus en plus vite des vêtements à bas coût notamment à cause du phénomène de «fast fashion» et même maintenant de «l’extra fast fashion».
Cette conjugaison de très bas coûts et d’attrait pour le changement fréquent de vêtements conduit ainsi à une croissance exponentielle des volumes de fibres synthétiques.
Les plastiques textiles sont aussi un contributeur majeur et croissant à la pollution par les microplastiques. Les rapports de recherche estiment que le textile est la première source de pollution en microplastiques dont les rejets dans les océans ont été multipliés par dix depuis 2005, avec 171.000 milliards de microparticules flottant désormais. Parmi les contributeurs à cette pollution, le textile est ainsi le premier pollueur avec 35% du total devant les pneus (28%).
Enfin ce secteur n’a jusque la pas été considéré comme une priorité par les pouvoirs publics dont les efforts sur la maitrise du plastique ont porté plutôt sur les emballages et sur l’élimination des plastiques à usage unique. Nous constatons ainsi plusieurs points de retard pour ce secteur :
L’environnement réglementaire et de protection pour les textiles plastiques est encore balbutiant. Nous pouvons citer la loi AGEC anti-gaspillage qui introduit pour la première fois des normes. Les règles concernant les textiles importés massivement de pays en voie de développement ne sont pas encore très abouties.
Nous constatons qu’il n’y a pas de gros efforts d’éducation et de vulgarisation sur le sujet de l’habillement responsable.
Le secteur textile a peu de marge manœuvre dans nos pays développés pour améliorer sa production sur le plan environnemental alors même qu’il doit employer toute son énergie à survivre et à affronter des difficultés économiques et de compétition avec les productions «low-cost» en provenance des pays en voie de développement.
Pourquoi Le recyclage des PET (Polyéthylènes) n’est pas la panacée ?
La première réponse de l’industrie textile pour améliorer son empreinte environnementale a été de lancer des collections éco-responsables utilisant le recyclage des bouteilles plastiques comme source de fibres textiles. Des robes de H&M, des vestes de sport chez Patagonia ou Columbia, les baskets d’Adidas ou de Puma sont ainsi produites et commercialisées.
Cela semble une bonne idée afin de réutiliser les plastiques déjà jetés. Mais le recyclage a deux gros inconvénients :
Il utilise beaucoup d’eau et d’énergie et divers matières chimiques potentiellement toxiques. Le recyclage a donc lui-même des effets importants négatifs sur l’environnement.
Par ailleurs, il ne permet pas la réutilisation à l’infini. Les fibres issues du PET vont être mélangées pour la plupart avec d’autres matériaux pour permettre de donner les propriétés techniques aux vêtements. Ces mélanges rendent un nouveau recyclage quasi impossible. Ces collections «recyclées» vont donc finir elles aussi dans les décharges et les océans.
Que faire alors ?
Le premier levier qui vient à l’esprit serait tout simplement de réduire notre consommation.
Nous pouvons rêver de changer nos modes de consommation pour tenter d’utiliser nos habits et chaussures sur le long terme avec de la réparation et de l’entretien. Certaines startups se sont lancées dans ce combat comme par exemple les réparables qui est un atelier de couture spécialisé dans l’entretien et la réparation des vêtements. `
Il faut aussi lutter contre le gaspillage avec un volume estimé de 30% des vêtements qui sont jetés sans être utilisés. Les entreprises textiles jettent elle même des volumes importants de fins de séries qui finissent dans les décharges sans même avoir été vendues. Des solutions de places de marchés permettant d’utiliser ces fins de séries sont en développement comme la startup smatch qui permet d’optimiser et de revendre les invendus des compagnies textiles.
Mais comment répondre aux souhaits légitimes des consommateurs de changer d’habit et d’avoir de la variété pour leurs garde-robes sans céder aux mauvaises pratiques du «fast fashion» ?
Les solutions et offres de places de marchés de deuxième main se développent assez vite dans les pays développés. Les jeunes générations semblent très adeptes de ces solutions et on peut penser que ce mouvement va se développer.
Il faudra enfin développer la possibilité de développer des solutions dans trois domaines scientifiques et technologiques qui pourront sûrement changer favorablement la donne sur l’impact environnemental des fibres textiles synthétiques :
Le développement de la production de fibres naturelles biosourcés et biodégradables.
Ce marché des biomatériaux est en pleine progression pour la production de fibres mais aussi pour la production de colorants naturels. Nous pouvons citer cet article qui présente certains exemples éloquents utilisant des déchets agricoles, des algues, des champignons et des bactéries pour produire des fibres.
Ce marché reste encore plutôt expérimental et ses coûts unitaires et capacité de production sont loin de pouvoir représenter encore une vrai alternative. La marche est longue dans ce domaine mais il est toutefois encourageant de voir un écosystème important de startups s’attaquer à ce sujet.
Nous pouvons citer quelques exemples :
Patagonia a remplacé le Néoprène par du caoutchouc naturel dans ses vestes de pluie. Ce caoutchouc naturel vient de plantations d’hévéas cultivés de manière durable.
North Face a développé un partenariat avec la startup Spiber pour fabriquer les «Moon parkas» incluant des fibres développés par fermentation de biomasse.
Adidas a développé un partenariat avec la start Up Bolt Threads pour développer du cuir pour les baskets Stan Smith à partir de la culture de champignons.
La possibilité d’utiliser des matériaux infiniment recyclables. Il semble que certaines recherches commencent à mettre au point ce type de matériau. C’est par exemple le cas de Econyl qui produit un fil de nylon infiniment recyclable produit avec du nylon récupéré sur le littoral ou dans les mers (résidus de vêtements et de filets de pêche) ou dans les décharges. Cette fibre garde toutes les propriétés du nylon vierge et reste de la même qualité à chaque recyclage ce qui permettrait une économie circulaire tout à fait performante.
Le développement des efforts de recherche scientifique et technologique à propos des effets sur la santé des fibres (synthétiques et biosourcés) ainsi que sur les technologies de filtration des microplastiques :
Les études sur les effets sur la santé des micro plastiques doivent s’intensifier car les chercheurs suspectent ceux-ci d’être très négatifs. Comprendre ceux-ci aidera à la prise de conscience et à la mobilisation.
Les chercheurs et ingénieurs doivent mettre au point des systèmes de filtration des microplastiques tout particulièrement dans les processus de lavage en machine qui semblent être la principale source de ces microplastiques d’origine textile.
Il faut lancer des études scientifiques sur les matériaux biosourcés pour vérifier leur effets sur l’environnement. Ce n’est pas parce qu’ils sont d’origine biologique qu’ils sont nécessairement sans impact sur la santé ou l’environnement. Les premières études montrent que les polymères biosourcés ne sont pas forcements moins nocifs que les polymères synthétiques.
Nous venons de voir que les défis sont énormes pour lutter contre la pollution textile des plastiques. Les efforts nécessaires sont monumentaux. Nous trouvons encourageant de voir la mobilisation progressive des acteurs de l’industrie comme par exemple les plateformes Fashion For Good ou Fashion Green hub. Nous suivrons dans nos articles futurs les progrès faits sur les pistes que nous avons identifiées.
Bonne semaine
Philippe
Https://o2nature.substack.com