Que penser de la gouvernance mondiale du climat après la COP29?
The Nature Letter on Sunday #019 - Les difficultés de la gouvernance mondiale sur l’environnement cachent des vrais progrès sur le carbone à l’échelle mondiale
Un cycle de grandes conférences internationales sur l’environnement (incluant la COP16 sur la biodiversité, la COP29 sur le climat, la négociation sur le traité des plastiques) se termine ce week end à Busan en Corée du Sud.
Il reste encore une dernière conférence, la COP16 sur la lutte contre la désertification qui aura elle lieu à Ryad dans les deux prochaines semaines. Mais il est temps de partager notre analyse sur ces évènements.
La presse et les médias se sont fait les échos des difficultés majeures rencontrées durant ces trois dernières conférences.
Les frustrations s’accumulent en effet sur le mode de gouvernance et le manque de résultats.
Nous pouvons dresser quelques constats factuels et partager les opinions qui se sont exprimées durant ces conférences :
L’expression des intérêts catégoriels prend le pas souvent sur l’intérêt collectif :
L’Arabie Saoudite (avec d’autres états pétroliers) a demandé de ne pas mentionner les combustibles fossiles dans le texte de l’accord ni n’a voulu discuter les derniers résultats des études scientifiques du GIEC. Elle n’a pas acceptée non plus un accord sur le principe d’une révision annuelle des efforts de réduction des gaz à effet de serre. Ces mêmes pays pétroliers sont en train de tenter de bloquer la possibilité d’un accord contraignant à Busan sur les plastiques.
La Chine a décidé de ne pas contribuer au financement officiel avec les autres pays développés alors que c’était vraiment mérité compte tenu de sa richesse économique et de son statut désormais de premier émetteur de gaz à effets de serre dans le monde.
L’administration Trump a nommé Lee Zeldin son prochain représentant à la tête de l’agence environnementale (EPA) et son ombre planait déjà sur ces conférences. Tout le monde se souvient de la décision de Donald Trump de sortir des accords de Paris lors de son premier mandat.
Le manque de résultats est criant :
L’obtention de 300 milliards d’engagement de financements de la part des pays occidentaux (Europe, Etats-Unis, Canada, Australie, Japon, Nouvelle-Zélande) pour les pays en voie de développement est très inférieur à l’objectif de 1.3 trilliard espéré par les pays en voie de développement et recommandé par les agences environnementales.
Il n’ a pas eu d’accord durant la COP16 sur le monitoring du «Global Biodiversity Framework» (GBF) ni sur l’augmentation du financement de ce programme.
La plupart des pays n’ont pas respecté les délais pour soumettre leurs plans pour la biodiversité ( National Biodiversity Stratégies & Action Plans (NBSAPs).
Des voix s’élèvent pour proposer des changements de gouvernance :
Des experts du climat ont adressé une lettre ouverte au secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques pour réclamer une refonte des COP.
Une idée serait d'exclure les producteurs de combustibles fossiles de la liste des potentiels pays hôtes de la conférence et ce notamment après trois COPs dans des pays pétroliers (Égypte, Dubai, Azerbaïdjan).
Parmi les autres suggestions figurent celle de réduire le nombre de participants et celle de revoir le mode de prise de décision par consensus.
Pourrions nous tout de même voir le verre à «moitié plein» ?
En réalité nous pouvons aussi voir les choses plus positivement :
Des résultats non négligeables ont été tout de même obtenus :
L’adoption dans la COP29 des nouvelles règles sur les échanges internationaux de crédit carbone est une bonne chose car la planète a besoin de pouvoir stimuler les acteurs économiques dans la transition. Nous reviendrons dans un article prochain sur les limites de ce système de « Carbon Crédit » mais il peut être amélioré en précisant des règles plus rigoureuses d’octroi de ces crédits.
Les 300 milliards de financement obtenus durant la COP29 pour les pays en voie de développement sont peu par rapport à ce qui est nécessaire mais c’est le triple néanmoins par rapport à la situation d’aujourd’hui (100 milliards).
La Chine a décidé ne pas être un donateur officiel à la COP29 mais démontre être un financier volontaire sur le climat de manière bilatérale avec de nombreux pays dans ses efforts diplomatiques et d’influence auprès de nombreux pays (elle semble maintenant donner autant que les autres pays développés).
La mise en place de règles pour «opérationnaliser» le « Cali Fund » est une bonne chose. Ce fonds est destiné à récupérer des financements de la part des grandes multinationales bénéficiant des connaissances des ressources génétiques issues de la biodiversité (par exemple les découvertes de molécules médicamenteuses des compagnies pharmaceutiques en Amazonie). Ceci va permettre d’avancer sur la reconnaissance de la richesse pour l’humanité de la biodiversité et encouragera le financement de la conservation de ces espaces dans les pays en développement.
La «communauté des océans» a pu mettre au point durant la COP16 un processus amélioré pour identifier et élargir les protections pour les zones biologiques marines significatives (« Ecologically or Biologically Significant Marine Areas).
La possibilité de réunir tous les pays de la planète pour discuter et se mettre d’accord sur des mesures contre le plastique est une véritable première.
La société civile (ONGs, entreprises, instructions financières) a investi en masse ces sommets et l’affluence de ces dernières conférences a établi de nouveaux records (> 50000 participants à Bakou; à l’exception des chefs d’états qui ont été peu présents mais on peut raisonnablement l’expliquer par la conjoncture internationale et électorale dans de nombreux pays). Derrière des textes officiels parfois creux, les acteurs de la société civile ont noué des partenariats et des accords concrets permettant d’avancer dans la bonne direction.
Au delà de ces premiers constats tentons de regarder un peu plus loin...
Les difficultés de la gouvernance multilatérale mondiale traduisent sûrement le recul général de la globalisation et le retour à des agendas nationaux (sinon nationalistes).
En revanche, tous les acteurs ont compris la nécessité climatique et jouent leur carte pour faire avancer la réduction des émissions en CO2. Le «momentum» d’ensemble sur la décarbonation est très net. Tous les pays ont bien compris l’intérêt stratégique de se positionner dans ce secteur.
Les grands pays du «Sud Global» ainsi que les Etats-Unis qui sont pourtant hermétiques à la gouvernance mondiale accélèrent en effet paradoxalement sur la décarbonation :
La Chine ne veut pas être un donateur officiel au sein de la gouvernance mondiale mais elle fait la course en tête dans le domaine des énergies renouvelables (L’agence internationale de l’énergie estime qu’en 2030 la chine possédera 60 % des capacités renouvelables dans le monde et ses émissions de CO2 commenceront à décroître).
L’Inde plus récemment convertie s’est lancée aussi dans la lutte contre le réchauffement climatique et a annoncé qu’elle fera mieux que les engagements pris lors des accords de Paris.
Le Brésil de Lula obtient de bons résultats dans la lutte contre la déforestation et vient de décider d’augmenter son objectif de réduction des émissions de 59 à 67% d’ici 2035.
L’Arabie Saoudite s’oppose au concept de «sortie des combustibles fossiles» mais elle se positionne dans le secteur de l’hydrogène et ambitionne de devenir un leader mondial de la production d’hydrogène et d’ammoniac bas-carbone.
Ce mouvement fort du « sud global » est très positif car ils sont désormais responsables de 100% des augmentations d’émissions encore constatées (Les pays occidentaux riches ont eux commencé à réduire leurs émissions nettes).
Les USA ont lancé un plan pharaonique pour la transition énergétique avec l’Inflation Réduction Act (IRA) qui prévoit plus de 360 milliards de dollars d’aide et d’investissement pour la transition climatique.
Les pays européens ne sont pas en reste dans cette course vers la décarbonation. Nous pouvons prendre juste quelques exemples :
L’Espagne s’est lancée de manière résolue pour faire levier sur ses atouts particuliers (capital soleil) dans le renouvelable et l’hydrogène vert.
La France a relancé sa filière nucléaire pour s’appuyer sur ses compétences historiques sur cette technologie.
L’Europe dans son ensemble met au point différents programmes pour investir dans la transition énergétique et notamment le «clean industrial deal» comme je le présentais dans un article sur les débuts de la nouvelle commission européenne de Ursula Von Der Leyen.
En revanche, la prise de conscience reste beaucoup trop faible sur les grands enjeux des équilibres biologiques et géochimiques de la planète.
Il est critique de se mobiliser et d’investir sur les grandes batailles environnementales qui nécessitent de gros efforts indépendamment de ce qui est fait sur le carbone (la biodiversité, les océans, la cryosphère, le méthane, les plastiques et les pollutions chimiques).
Nous pensons ainsi que les difficultés de la COP16 et de la conférence sur les plastiques sont en effet essentiellement liées à la faiblesse de la compréhension et conviction sur ces sujets.
Nous devons notamment redoubler d’efforts sur la conscience collective concernant l'importance des points de bascule dont j’ai parlé dans un article récent et notamment les menaces suivantes :
Sur la cryosphère :
Calotte glaciaires antarctique et arctique.
Glaciers et permafrost.
Sur la biosphère :
Dépérissement de la forêt.
Dégradation des savanes.
Désertification des zones arides.
Eutrophisation des lacs.
Dégradation des milieux coralliens.
Affaiblissement des zones de pêches.
Dégradation des mangroves.
Dégradations des forêts primaires, particulièrement l’Amazonie et les forêts boréales.
Ceci devrait permettre d’avancer enfin sérieusement sur la biodiversité.
Concernant le plastique et les pollutions chimiques, il nous faut développer une plus forte compréhension des effets délétères absolument désastreux sur la santé humaine de ces matières. Ce combat reste à gagner comme l’illustre les difficultés rencontrées à Busan entre les parties prenantes du traité contre la pollution plastique.
Nous concluons cette article en résumant nos trois convictions fondamentales :
Sur le carbone, nous pensons que le «momentum» est déjà en marche dans les grands pays développés. Il faut se concentrer sur l’aide aux pays en développement pour les aider sur la transition.
Il nous faut développer notre conscience collective sur l’importance des questions biologiques et géochimiques de la planète et l’impact sur la santé afin de créer un mouvement dans les prochaines années sur ces sujets clefs (biodiversité, plastiques, océans, eau, pollutions chimiques) et inventer des modèles économiques performants pour les efforts de restauration de la nature.
Sur la gouvernance, il ne faut pas se laisser démoraliser par les déboires des récentes conférences ni par les tentations anti-multilatérales de nombreux gouvernements. Il s’agit de continuer l’organisation de ces conférences tout particulièrement dans les pays émergents et même les pays pétroliers car il faut s’assurer d’avoir tous les intérêts autour de la table. A ce titre, l’organisation de la COP30 en 2025 à Bélem en Amazonie au Brésil est bien choisie.
Bonne semaine
Philippe
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