Pouvons nous identifier les points de bascule («tipping points») du climat?
The Nature Letter on Sunday #006
De nouveaux incendies gigantesques se sont déclenchés cette semaine en Grèce.
Une étude scientifique vient d’être publiée confirmant les impacts catastrophiques des incendies en 2023 et tout particulièrement ceux du Canada qu’elle estime à 2 milliards de tonnes de CO2 émis. L’avis du bureau météorologique du UK (le Met Office) , qui a analysé cette étude, est particulièrement éclairante. Il met en évidence les corrélations et les effets d’entraînement cumulés du changement climatique et des grands incendies.
Ce type d’effet « domino » négatif pourrait être un élément déterminant pour comprendre les évolutions du climat et pour mettre au point les meilleures stratégies permettant d’y faire face.
Nous pourrions aussi imaginer des effets d’entrainement et d’accélération non pas négatifs mais aussi positifs en lisant une autre étude publiée elle aussi cette semaine.
Selon un rapport du centre d’études britannique Ember, la production électrique éolienne et solaire a en effet dépassé pour les six premiers mois de 2024 la production électrique d’origine fossile dans l’Union Européenne. C’est la première fois que ce dépassement a lieu.
Ce rapport révèle que la production solaire a augmenté de 20 % (+ 23 TWh) et celle de l’éolien de 9,5 % (+ 21 TWh) par rapport aux six premiers mois de 2023. Le système électrique de l’UE a ainsi poursuivi sa transition rapide vers les énergies renouvelables, en particulier l’énergie éolienne et solaire. La dépendance à l’égard des combustibles fossiles a atteint un niveau historiquement bas au premier semestre de cette année, alors même que la demande d’électricité a augmenté et que les prix de l’électricité sont revenus à leurs niveaux d’avant la crise. La dynamique de la transition vers les énergies propres se propage : près de la moitié des États membres ont produit plus d’électricité à partir de l’énergie éolienne et solaire qu’à partir de combustibles fossiles au cours des six premiers mois de l’année 2024.
Les éléments chiffrés du premier semestre 2024 comparé à 2023 sont assez probants :
La croissance de la production éolienne provient surtout de deux pays : Allemagne (+5,5 TWh, +8,4 %) et Pays-Bas (+4,6 TWh, +35 %).
La croissance de l’énergie solaire est plus généralisée, avec de fortes augmentations de capacité dans l’ensemble de l’Union Européenne notamment en Allemagne (+4,5 TWh, +14 %), en Espagne (+2,7 TWh, +13 %), en Italie (+2,6 TWh, +17 %), en Pologne (+2,4 TWh, +37 %) et en Hongrie (+1,5 TWh, +49%).
Le solaire et l’éolien produisent désormais 13 % de l’électricité mondiale, soit plus du double depuis 2015, date de la signature de l’accord de Paris. Les origines non fossiles ont ainsi généré près de 40 % de l’électricité mondiale. En conséquence, l’intensité en CO2 de la production mondiale d’électricité a atteint un nouveau record à la baisse en 2023, soit 12 % de moins que le pic atteint en 2007.
Cette impression mise en avant dans cette étude est confirmée par de nombreux analystes. Ils soulignent l’effet d’accélération des efforts cumulés faits sur les énergies renouvelables (réglementation, taxe carbone, subventions, financements publics et privés). L’indicateur clef confirmant le caractère d’accélération est la mise à parité des coûts (voir même à un coût inférieur) des énergies renouvelables par rapport aux énergies fossiles ce qui mécaniquement va engendrer une accélération positive exponentielle.
Ces constats empiriques sur la base des actualités de la semaine font écho à une étude très intéressante sur les points de bascule nommés les «global tipping points» du climat publiée par l’université d’Exeter. Cette université étudie précisément ces effets “domino” et d’accéleration du changement climatique.
Ces recherches confirment par exemple que nous assistons à un changement historique sur les énergies renouvelables et que celui-ci se produit rapidement :
Si les États membres parviennent à maintenir l’élan du déploiement de l’énergie éolienne et solaire, l’affranchissement de la dépendance à l’égard de l’énergie fossile commencera vraiment à se faire sentir.
Ce «tipping point ou point de bascule» se traduit pas une série d’effets «dominos» et de «feedback loops» renforçant plusieurs mouvements les uns avec les autres :
L’adoption plus rapide de l’énergie solaire va permettre de réduire encore plus le prix des capteurs photovoltaïques.
Le déploiement de plus de solaire va génèrer une accélération de l’industrie des batteries et du stockage d’énergie.
La réduction des coûts et l’amélioration des performances des batteries permettra aussi de développer plus vite et de manière plus compétitive d’autres énergies comme l’ammoniac vert ou l’hydrogène vert et parrallèlement d’accélérer la mobilité non fossile (véhicules électriques).
Partageons rapidement la liste des «tipping points potentiels» négatifs et positifs identifiés par cette étude de l’université d’Exeter :
Les «tipping points positifs» :
Electricité d’origine renouvelable.
Mobilité électrique et notamment généralisation des véhicules électriques.
Restauration et régénération des éco-systèmes.
Les «tipping points négatifs» :
Sur la cryosphère :
Calotte glaciaires antarctique et arctique.
Glaciers et permafrost.
On peut se référer aux publications de la Glaciologue Heidi Sevestre qui mettent bien en évidence ces effets.
Sur la biosphère :
Dépérissement de la forêt.
Dégradation des savanes.
Désertification des zones arides.
Eutrophisation des lacs.
Dégradation des milieux coralliens.
Affaiblissement des zones de pêches.
Dégradation des mangroves.
Dégradations des forêts primaires, particulièrement l’Amazonie et les forêts boréales.
Nous reviendrons largement sur ces phénomènes dans nos articles futurs pour mieux comprendre les accélérations positives ou négatives et nous aider dans la mise au point des stratégies les plus performantes vers le Net Zéro, la résilience et l’adaptation aux changements.
Bonne semaine à tous
Philippe