Pouvons nous concilier climat et croissance?
The Nature Letter #017 - Le découplage de la croissance et de son impact climatique grâce à la technologie
Les discussions internationales sur l’environnement continuent en ce moment même à Bakou lors de la COP29.
Il est encore trop tôt pour tirer un bilan de cette COP qui s’inscrit dans un cycle intense de conférences cet automne se terminant en décembre par la COP16 sur la lutte contre la désertification à Ryad en Arabie Saoudite.
Nous partagerons donc en fin d’année les enseignements, les avancées et les défis résultants de cet ensemble de réunions internationales.
Aujourd’hui, nous allons prendre du recul et nous pencher sur les controverses autour de la croissance et voir comment nous pouvons dépasser les débats récurrents et parfois violents entre :
Les tenants de la décroissance qui pensent que réduire l’activité économique est la seule façon de permettre d’éviter le dérèglement climatique et la catastrophe annoncée pour notre planète et l’espèce humaine.
Les apôtres de la croissance qui considèrent que seule la maximisation de la croissance peut permettre le progrès économique et humain comme cela été le cas pour l’espèce humaine dans son histoire.
Rappelons d’abord la définition de la croissance :
Elle se mesure via l’augmentation du Produit Intérieur Brut (PIB).
Celui ci est calculé comme la somme des valeurs ajoutées de tous les acteurs économiques. Il s’agit donc concrètement et de manière simplifiée de la quantité produite de bien et services multipliée par les prix.
Le PIB Par habitant est considéré comme l’indicateur de richesse des habitants d’un pays. Et la force économique d’un pays est mesurée par son PIB total.
Produire plus et mieux est donc clef pour développer le PIB.
Développer le PIB est aussi le moteur pour :
Créer des emplois.
Augmenter la rémunération du travail.
Redistribuer des richesses pour réduire les inégalités.
Investir les bénéfices de l’activité économique dans l’innovation.
Nous sommes tous familiers avec les effets négatifs en cas d’absence de croissance :
Nous parlons alors de récession.
Celle-ci se traduit par des destructions d’emplois et plus de chômage.
Une baisse du pouvoir d’achat et des mécontents dans la population.
Des sanctions des gouvernements en place lors des élections et parfois de l’instabilité politique et des attractions pour du populisme.
Une forte prise de conscience s’est développée au 20e siècle sur l’impact négatif de la croissance sur la planète.
L’histoire académique et politique du 20e siècle foisonne de théoriciens et idéologues mettant en cause la croissance dans les dérèglements de la planète.
Prenons juste trois exemples clefs :
Dans les années 1920, le scientifique soviétique Vladimir Vernadski (auteur du concept de biosphère) alerte sur le fait que l'humanité, en raison de son développement démographique, économique, agricole et industriel est en train de devenir un «facteur géologique planétaire«.
En avril 1968, un groupe de diplomates, universitaires, industriels et membres de la société civile, souhaitant penser l'avenir du monde, s'est rassemblé sous le nom de Club de Rome. En 1970, il a passé commande d'un rapport auprès d'un groupe de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology, mené par Dennis Meadows. Leur premier rapport Meadows intitulé «The limits of Growth» sert de plateforme de lancement pour le mouvement de la décroissance.
En 1973, un économiste britannique, Ernst Friedrich Schumacher, dans le livre très connu « Small is beautiful : a study as of people mattered» décrit pourquoi le système productiviste globalisé n’est pas soutenable car il détruit les ressources naturelles et il génère des modèles toujours plus grands («The bigger The better») devenant inhumains. Il recommande de faire évoluer la société vers un modèle d’économie plus durable à taille plus humaine prenant en compte l’homme et la planète.
Le développement des théories de décroissance se sont accélérées à la fin du 20e siècle. Ces idées ont atteint leur apogée sur le plan politique au début du 21e siècle. Mais elles semblent désormais plafonner et pourraient même être dans une impasse.
La prise de conscience de l’impact de l’activité humaine sur la terre a engendré des mouvements politiques variés représentés notamment dans l’écologie politique, des mouvements libertaires et anti-capitalistes critiquant les modèles économiques en cours :
René Dumont, un agronome écologiste, se présente à l'élection présidentielle de 1974 mais il ne recueille que 1,32% des voix.
Albert Jacquard, généticien et membre du Parti communiste, publie « voici le temps du monde fini » en 1991 expliquant que « plus la science et la technique démontrent le caractère limité des ressources naturelles et moins paradoxalement les responsables politiques et économiques semblent en tenir compte », « avec des moyens techniques et militaires qui sont ceux d’aujourd’hui, l’humanité continue à penser, agir, en suivant des types de raisonnements qui datent du moyen âge ».
La mouvance altermondialiste développe en 2001 un slogan « le monde n ‘est pas une marchandise» et organise une immense manifestation et un «contre-sommet» à Gênes pour s’opposer au sommet du G8.
Les mouvements écologistes et anti-capitalistes se développent fortement au tournant du 21e siècle notamment via les mouvements « Green » écologistes avec des résultats aux élections parfois importants.
Ces mouvements ont semble-t-il désormais atteint un certain plafonnement dans les élections.
Ces mouvements décrient les modèles actuels mais ne proposent pas des solutions réalistes alternatives.
Ils sont naturellement fortement critiqués par les mouvements économiques et les autres forces politiques y compris dans les propres rangs écologistes car ils n’expliquent pas comment ils pourront permettre de créer des emplois, augmenter le niveau de vie des citoyens, ni comment pouvoir investir dans la transition énergétiques qui nécessite des sommes astronomiques en milliers de milliards d’investissements.
Ces dernières années nous voyons l’avènement d’écoles de pensée visant une croissance harmonieuse dépassant le débat entre les anti et les pro-croissance.
Nous pouvons identifier par exemple L’écomodernisme . C’est une école de pensée environnementaliste qui affirme que les humains peuvent préserver la nature en utilisant des techniques de pointe pour découpler la croissance économique des impacts de l’homme sur le monde naturel.
Je vous recommande le texte de référence « Manifeste éco-moderniste » qui résume les principaux points de vue de ce mouvement.
Ce découplage repose sur le rejet du postulat selon lequel la croissance serait systématiquement et généralement négative pour l’environnement.
Bien sur, les industries polluantes historiques, l’agriculture industrielle, les modèles de transport utilisant les combustibles fossiles, la déforestation sont toutes des activités économiques avec un fort impact négatif sur la planète et ses écosystèmes.
En revanche l’homme grâce aux avancées technologiques et l’évolution de son modèle de société est peut-être en train de réconcilier la croissance économique et l'environnement.
Nous pouvons présenter quelques illustrations d’évolutions sociétales et technologiques qui soutiennent ce point de vue :
Notre modèle de société moderne aboutit à une forte maitrise démographique.
La croissance exponentielle de la population est terminée ce qui permettra de ne plus continuer à augmenter la pression humaine sur l’environnement.
Les prévisions des experts montrent que la population mondiale devrait atteindre un pic en fin de siècle à 10 milliards (aujourd’hui 8 milliard). Certains prévoient même peut-être une inflexion de la population dès 2050.
Les grands blocs de population du 20e siècle sont en fort retrait démographique (Europe, Chine, Inde). L’Afrique continue de croître rapidement mais devrait suivre à terme le même modèle démographique.
L’économie circulaire permet de developper une croissance en limitant fortement voir en annulant son empreinte sur l’environnement. Voici quelques exemples :
Le recyclage des déchets et par exemple les transformer en matériaux de construction.
L’utilisation de la chaleur des « data centers » pour chauffer les villes.
La revalorisation des eaux usées pour chauffer les bâtiments.
L’optimisation de la gestion des eaux et de l’énergie par l’intelligence artificielle.
La réparation, l’entretien et la réutilisation généralisée des produits du quotidien et industriels.
L’orientation vers du «consommer mieux plutôt que du consommer plus».
Les technologies énergétiques les plus avancées sont proches d’atteindre le zéro-carbone :
Les cellules solaires à haut rendement peuvent générer beaucoup d’énergie sur un espace infime.
La fission nucléaire est la seule technologie à zéro carbone avec une capacité démontrée. Bien sûr, des questions restent posées sur cette industrie mais sa capacité de générer de l’énergie zéro carbone lui donne un statut important au moins durant la période de transition énergétique.
Les technologies d’intensification de la production alimentaire se développent avec quelques exemples :
L’agriculture verticale qui consiste à cultiver à l’intérieur en étages permet des taux de production très élevés, une meilleure qualité des cultures, une utilisation moindre de l’eau (90% de moins), pas d’engrais ni de pesticides, et une forte réduction de l’espace nécessaire.
La production de protéines synthétiques qui demandent un accès très limité en surfaces, énergie et ressources naturelles :
L’aquaculture qui permet la production de poissons en évitant de prélever sur les stocks sauvages dans les océans.
Les protéines végétales qui requièrent beaucoup moins d’énergie et de ressources naturelles que les protéines animales.
La fermentation de précision permettant grâce à la biologie synthétique de produire à partir de levures ou de bactéries des protéines alimentaires. Nous présenterons plus en détail cette technologie très intéressante dans un prochain article.
La viande cultivée en laboratoires (culture cellulaires) est une technologie pour l’instant encore peu développée.
Les protéines d’insectes qui permettent de produire des protéines de manière très efficace en consommant très peu de ressources naturelles.
Les technologies de résilience et de réduction de l’impact climatique :
Les technologies de dessalement permettent d’accéder à des ressources d’eau qui manque de manière croissante dans certaines régions.
Les technologies de capture du carbone dans l’air ou directement sur les sites de production industrielle permettent d’annuler les défauts des industries non encore transformées par la transition énergétique.
L’investissement dans la nature et la biodiversité :
Je vous renvoie à nos articles :
sur la biodiversité qui met en évidence les activités économiques permettant de restaurer la biodiversité.
Sur la forêt qui va plus loin sur les modèles économiques permettant de réparer et développer nos écosystèmes forestiers.
La valorisation des prix des services en fonction de leur qualité environnementales :
La prise de conscience environnementale qui se développe parallèlement aux effets ressentis du dérèglement climatique conduit à envisager des stratégies de prix, de taxes et de subventions permettant de valoriser les activités bénéfiques et donc d’orienter la croissance vers un modèle harmonieux pour l’environnement.
En conclusion notre point de vue est que croissance ou décroisssance n’est pas une bonne question et ne devrait être un objet de débats politiques. Les stratégies brutales de décroissance ou à contrario de croissance carbonée et à fort impact environnemental nous conduiraient dans les deux cas à de grosses difficultés.
Nous pensons en revanche comme les écomodernistes que le découplage permettant la croissance verte est une priorité. Les nouvelles technologies vertes, tout particulièrement les 12 technologies que nous suivons de près dans nos articles et les modèles de gouvernance et de soutien des efforts pour restaurer les écosystèmes de la planète peuvent nous permettre de construire pas à pas un modèle de croissance harmonieux.
Bonne semaine
Philippe Ricard
Https://o2nature.substack.com/