Pourquoi la forêt est une priorité?
The Nature Letter on Sunday #016 - revitaliser La forêt est une priorité absolue
Nous avons décris les enjeux de la biodiversité dans un article récent où nous avions identifié l’importance des arbres et des forêts.
Aujourd’hui nous allons plus loin pour examiner le rôle fondamental de la forêt sur la planète, les enjeux de la revitalisation des forêts et les actions que nous devons privilégier.
Rappelons d’abord que le scientifiques convergent sur le potentiel énorme de la forêt et les conditions de réalisation de ce potentiel comme l’indique la dernière recherche publiée dans le magazine Nature.
Les grandes conclusions de cette étude sont les suivantes:
Les forêts ont le potentiel de capturer 226 gigatonnes de carbone dans les zones où les forêts peuvent exister naturellement. Ceci représenterait une suppression de 30% des excès de carbone dans l’atmosphère dus à l’homme.
Ce potentiel ne pourra se réaliser que si nous travaillons sur la réduction des émissions directes.
En effet, l’aggravation des conditions climatiques (sécheresses, températures, pluies acides, maladies des épicéas (scolytes)) affaiblissent la forêt au point de la rendre dans certaines conditions émettrice nette de carbone. C’est déjà malheureusement le cas dans certains pays d’Europe comme le confirme des études récentes.
En revanche, dans de bonnes conditions :
69% du potentiel de séquestration carbone forestier peut se réaliser en protégeant et renforçant les forêts existantes et leur permettant d’aller à maturité.
39% de ce potentiel est possible en améliorant la gestion des espaces ruraux en restaurant et améliorant les écosystèmes.
La diversité d’espèces forestières variées et complémentaires cohabitant ensemble est indispensable pour maximiser le potentiel forestier.
Ces premières conclusions sont essentielles quand nous envisagerons les actions prioritaires à conduire.
Revenons maintenant sur les fondamentaux de l'histoire des forêts sur la Planète.
La forêt fut d’abord un écosystème merveilleux à l’origine de notre planète.
Nous pouvons simplement citer les mots de Ernst Zürcher un ingénieur forestier suisse :
« La forêt fonctionne comme une enveloppe vivante de protection de la Terre contre le rayonnement solaire. Elle stocke l’eau, favorise les pluies, séquestre le carbone et rend les sols fertiles. »
La forêt est un écosystème qui s’est naturellement développé sur la quasi intégralité des terres émergées dans les zones équatoriales et tempérées à la fin de l’ère glaciaire.
L’Amérique du Nord et l’Europe ont été ainsi complètement couvertes de forêts primaires autosuffisantes grâce à la photosynthèse. Ces «continents» forestiers furent le siège du développement d’une biodiversité abondante.
Il est clef de bien comprendre les caractéristiques constitutives de ces forêts naturelles primaires :
La coopération et la compétition d’espèces variées au sein d’un cycle de vie forestier avec des essences de lumière, demi-lumière, de demi-ombre et d’ombre pouvant se développer à tour de rôle sur plusieurs étages végétaux verticaux pour optimiser l’utilisation des rayons du soleil.
La coexistence d’arbres de tous âges. Les arbres jeunes et plus anciens voir très anciens à maturité ainsi que des arbres morts naturellement se côtoient.
Un réseau dense d’arbres en collectivité qui s’appuient sur un système très étendu de réseaux racinaires et mycéliens (filaments des champignons) les reliant entre eux.
Un humus de sol forestier très riche en carbone et en flore microbienne fixant et rendant l’azote disponible aux végétaux.
Les hommes ont toujours ressenti l’importance des arbres en les célébrant et même en les sacralisant :
Nous connaissons de nombreux exemples :
Les ifs chez les celtes.
Les ginkgo biloba chez les japonais.
Les grands chênes en France (l’arbre sous lequel Saint Louis rendait justice).
L’acacia était le «Tree of Life» des égyptiens dans l’antiquité.
La feuille d’érable est l’emblème du drapeau canadien.
Les arbres majestueux ont toujours impressionné les hommes. Nous pensons au séquoia emblématique avec sa taille qui peut atteindre plus de 100 mètres ou les eucalyptus en Australie qui ont pu historiquement dépasser 130 mètres.
Nous pouvons encore trouver des arbres vivants de plusieurs milliers d’années précédents même notre civilisation.
Ces dernières années, les forêts redeviennent l’objet de plus d’attention. A titre d’exemple, les pratiques de bains de forêts à vocation thérapeutique se sont développés particulièrement au Japon et leurs bénéfices ont été confirmés:
L’air forestier est particulièrement enrichi en oxygène durant la journée et les feuilles jouent le rôle de filtres à particules et de l’oxyde d’azote (NOx).
La forêt émet des molécules bactéricides et fongicides, les phytoncides, qui sont bénéfiques à notre système immunitaire.
L’immersion en forêt avec son air fortement ionisé (ions négatifs) semble avoir un effet positif en baissant la pression artérielle et le cortisol (notre hormone de stress).
Je vous recommande de lire et écouter les grands spécialistes de biologie, botanique et de sylviculture pour approfondir le caractère merveilleux de la forêt :
Ernst Zürcher, ingénieur forestier suisse avec son livre «les arbres, entre visible et invisible».
Francis Hallé, botaniste français avec ses conférences/livres sur «la vie des arbres».
Peter Wohlleben, écologue allemand avec son livre «la vie secrète des arbres».
Marc-André Selosse, biologiste français avec son livre « Jamais Seul » qui explique le monde merveilleux des microbes et leurs rôles sur les arbres et les plantes.
Avec le développement de l’agriculture puis de l’industrie, La forêt a été pensée ensuite comme une ressource d’extraction puis d’exploitation.
À la fin de l’ère glaciaire, l’homme a développé l’agriculture et ouvert la forêt en faisant des coupes localisées pour créer un bocage semi-ouvert et permettre des cultures bénéficiant des sols riches en carbone accumulé sous le couvert forestier.
Cette époque où la forêt restait dominante avec cette organisation en bocage semble avoir été particulièrement propice à la biodiversité.
Malheureusement, l’intensification de l’agriculture a progressivement repris des surfaces considérables à la forêt pour les pâturages et les monocultures agricoles.
La forêt s’est vue aussi développer un rôle d’exploitation directe conduisant à une réduction supplémentaire des surfaces forestières au delà de son défrichage pour les besoins agricoles et d’occupation des sols. Les principaux produits d’exploitation ont été les suivants dans nos régions européennes :
Production de charbon de bois pour l’énergie.
Production de bois de chauffage.
Production de bois de construction.
Le développement des zones urbaines bétonnées ont également réduit l’espace dévouée aux arbres.
Les forestiers ont développé une exploitation sylvicole en reproduisant les erreurs faites dans l’agriculture :
La coupe rase des forêts pour en extraire le bois. Nous pouvons suivre par satellite les coupes massives faites dans les grandes forêts équatoriales.
Les plantations mono-espèces d’arbres alignés en rangés artificielles. Un exemple est le massif forestier des Landes qui est une monoculture intensive de pin maritime.
Le résultat de cette double exploitation intensive de la forêt, en la supprimant pour récupérer des espaces et pour l’exploiter directement, ont conduit à son appauvrissement et même à sa disparition comme forêt primaire sur la plupart des continents. Les forêts primaires ont ainsi disparu d’Europe et se sont progressivement réduites dans les zones équatoriales.
Les forêts restantes ont été essentiellement plantées et exploitées en contradiction avec tous les principes écosytémiques que les forêts primaires avaient mises naturellement en place.
Plus récemment, la prise de conscience de l’importance de la forêt a encouragé les premières tentatives de reboisement.
À la fin du 20ème siècle, les premières tentatives de reforestation voient le jour mais celle-ci n’intègrent toujours pas les principes biologiques essentielles de la forêt primaire :
Les gros projets de reforestation ont été d’abord réalisés souvent
En plantant la même espèce parfois non indigène plutôt qu’un mélange harmonieux d’essences d’origine locale.
En visant le quantitatif (des millions d’arbres) plutôt que le qualitatif.
En visant aussi l’exploitation économique avec retour de rentabilité assez court plutôt que l’entretien sur le long terme du potentiel forestier et de la biodiversité.
En plantant dans des zones non propices à la forêt par exemple des savanes ou des prairies semi-sèches plutôt que des zones humides.
Petit à petit, grâce aux études scientifiques, ces projets se sont progressivement améliorés pour aller progressivement dans une meilleure direction en adoptant les meilleures pratiques.
Nous pouvons citer de nombreuses initiatives en cours comme :
l’African Forest Landscape Restoration initiative.
le Bonn Challenge.
Le billion Tree tsunami au Pakistan.
Le programme objectif forêt en France.
Le projet européen LIFE Forest CO2.
Le mouvement mondial de reforestation Trillion Trees .
L’initiative 20x20 en Amérique Latine.
La décennie des Nations Unies pour la restauration des écosystèmes.
Les initiatives privées comme reforestACTION.
Nous voyons donc maintenant l’avènement d’un nouveau paradigme avec la mise en place progressive et exigeante d’un environnement forestier harmonieux.
Bien éclairés sur les fondamentaux de la forêt et avec l’expérience des premières expériences de reforestation, nous pouvons donc projeter l’avenir que nous souhaitons pour les forêts et préciser/compléter les actions de développement des arbres et des écosystèmes forestiers.
Ce nouveau paradigme pour les écosystèmes forestiers va en effet s’appuyer sur l’aménagement de la planète à travers trois grands domaines naturels.
La protection et le développement de grandes forêts primaires.
Ces espaces représentent le bien commun et la protection de notre futur en étant
Un sanctuaire pour la biodiversité.Ces espaces naturels sans activité humaine et qui sont en libre évolution sont typiquement des zones avec une grande diversité de faune, de flore et de microbes (la forêt amazonienne est une zone exceptionnellement riche en espèces biologiques et abritent de nombreuses espèces en voie d’extinction ou tout simplement les espèces rares).
Un régulateur du climat et des cycles hydrologiques à l’échelle planétaire. Les grands espaces forestiers (Amazonie, forêt africaine) constituent ainsi des puits de carbone de grand volume jouant un rôle crucial pour la régulation des cycles climatiques et hydrologiques de la planète. Il faut donc absolument protéger ces zones.
Les actions principales visent donc à :
La protection des grandes forêts primaires encore subsistantes comme les forets africaines (Congo), amazoniennes, indonésienne et boréales.
La mise en place du retour des forêts primaires où elles ont disparu comme en Europe. Francis Hallé milite avec son association pour recréer une forêt primaire en Europe (projet pilote de 70000 Hectares) et développe un projet complet parfaitement adapté aux objectifs identifiés dans cet article.
Le modèle économique de ces espaces s’appuieront sur :
Le financement via un tourisme très contrôlé, par exemple comme celui qui existe déjà dans les parcs nationaux.
Le financement via les produits de recherches scientifiques en devenant des laboratoires à ciel ouvert permettant des expérimentations uniques.
Le financement via la coopération avec des zones limitrophes de ces forêts en mettant en place en périphérie des zones d’agroforesterie et de bocages pour une agriculture régénératrice et une transition progressive entre la forêt primaire et les zones non forestières.
Le maintien et le développement harmonieux des zones forestières non primaires.
La reforestation doit être conduite en respectant la diversité des espèces végétales, le choix des espèces indigènes et le choix de zones naturellement propice à la forêt.
L’entretien durable des forêts conduisant à prélever de manière raisonnée les arbres en laissant l ‘écosystème forestier fructifier d’une façon aussi proche que possible de l’évolution d’une forêt naturelle.
Il est aussi possible de laisser des zones non exploitées pour régénérer des vieux arbres et des écosystèmes forestiers encore plus riches en biodiversité.
Le modèle économique de ces forêts s’appuiera sur:
L’exploitation raisonnable du bois et le maintien de parcelles forestières en bon équilibre de biodiversité et de croissance d’espèces multiples.
Le développement de la traçabilité du bois dans son utilisation et de la mise en place du juste prix pour des bois de qualité prélevés de manière soutenable (label qualité et durabilité).
Les zones rurales aménagées avec des bocages, agroforesterie et permacultures.
Il s’agit de réintroduire les massifs forestiers dans le paysage agricole pour permettre une optimisation du modèle agricole sur le plan de la biodiversité et la résistance aux maladies.
On peut citer quelques techniques permettant cette évolution :
Le développement de l’agroécologie et la mise en place de haies, d’arbres et de cultures couvrantes pour recarboner les sols.
La mise en place de mode d’agriculture innovante comme la permaculture et l’agroforesterie. Ces modes de culture visent à combiner au mieux la production agricole, les arbres et le maintien dans les meilleures conditions des cycles biologiques et des écosystèmes.
Ces modes de culture combinant de manière optimale les arbres et les végétaux permettent à la biodiversité de se développer dans les sols (microorganismes, vers, champignons), sur les végétaux (insectes pollinisateurs) et permettant de maintenir du carbone et de l’azote au bon niveau dans les sols.
le modèle économique de ces zones agricoles revitalisées s’appuiera sur une combinaison entre :
Les produits de la production agricole bénéficiant d’un label de qualité (bio ou équivalent).
Les bio crédits permettant de valoriser les efforts faits par les agriculteurs pour l’environnement.
L’arbres et les végétaux dans les zones urbaines :
Il s’agit de réintroduire les arbres dans les villes :
Pour tempérer la chaleur.
Pour réduire la surface du bitume et du béton.
Ce type d’adaptation urbaine permet
D’améliorer l’absorption d’eau lors des épisodes violents d’averses pour modérer les inondations.
Développer de la biodiversité locale (oiseaux, insectes, petits mammifères).
Les villes mettent en place des projets mettant en place des zones d’arbres à cet effet:
Les coulées vertes.
Les parcs.
Les jardins urbains forestiers.
Les principes utilisés pour ces plantations seront les mêmes que pour tous les peuplements boisés :
Privilégier les essences locales.
Planter plusieurs essences pour éviter la fragilité aux maladies.
Planter des groupes d’arbres et non des arbres isolés.
Permettre aux arbres d’avoir la place pour se développer et faire croître leurs systèmes racinaires.
S’assurer que les sols seront les plus adaptés et bénéficieront d’un apport en carbone et flore microbienne suffisante.
Nous confirmons donc que l’espoir représenté par les écosystèmes forestiers est immense pour notre planète. Celui-ci se réalisera avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’investissement et la mobilisation de tous les acteurs publics et privés pour la mise en place d’espaces naturels forestiers adaptés aux différent milieux de notre planète. Nous observerons de près les progrès faits dans ces actions et les partagerons dans nos articles futurs.
Bonne semaine
Philippe
Https://o2nature.substack.com/