L'Arctique est-il en passe de devenir une véritable bombe climatique?
The Nature Letter on Sunday #022 - Le changement climatique est particulièrement puissant en Arctique avec des conséquences exponentielles pour la planète
Nous avions identifié la «cryosphère» comme un facteur d’accélération négatif pour notre climat.dans un article sur les points de bascule («tippings points») du climat.
Nous allons aujourd’hui approfondir cette menace en se concentrant sur le danger particulièrement important posé par la zone arctique.
Pourquoi l’Arctique a une place unique dans la «cryosphère»?
Rappelons tout d’abord ce qu’est la « cryosphère ».
La cryosphère, du grec kryos (froid , glace), est un terme identifiant l’eau sous forme solide sur la planète :
La neige.
Les glaciers.
Les « inlandsis » (calottes glaciaires).
Les banquises.
Les icebergs.
La glace de mer, de lac et de rivière.
les sols gelés de la toundra ( le «permafrost»).
L’importance particulière de l’arctique au sein de la «cryosphère».
L’Arctique représente une zone de 18 millions de kilomètres carrés couverte par huit pays : la Russie, la Norvège, La Suède, le Danemark, La Finlande, l’Islande, le Canada et les États-Unis (Alaska).
Alors que L’Antarctique est essentiellement un grand continent glacé entouré d’océans, l’Arctique est un océan glacé cerné par les terres.
Les paysages glacés formant l’Arctique sont variés :
La plus grande partie de l’Arctique est une banquise flottant sur un océan d’une superficie moyenne d’une dizaine de millions de kilomètres carrés. Elle se forme à partir d’eau de mer qui gèle en surface en grandes plaques qui se brisent et s’entrechoquent au gré des vents. C’est donc de la glace salée, qui devient douce avec le temps. Cette banquise dégèle partiellement l’été et se reforme chaque hiver. C’est un océan enclavé que l’on peut comparer à “une Méditerranée froide”. Sous l’effet des courants marins et des vents, la banquise va se déplacer. Sa vitesse peut varier entre 5 et 20 km par jour.
La seconde partie de l’Arctique la zone des glaciers et des calottes glaciaires qui sont principalement situés sur les îles environnantes dont la plus grande est «L'inlandsis» du Groenland recouvrant 1,7 million de km2. C'est la deuxième plus grande masse de glace sur terre après «l’inlandsis» de l’Antartique. Si les 2,85 millions de kilomètres cubes de glace du Groenland fondaient, ils causeraient à eux seuls une élévation du niveau moyen des mers de 7,2 mètres ou 7,3 mètres. Certes l’Antarctique, si elle fondait, élèverait la mer de 70 mètres mais le continent antarctique semble plus stable pour le moment (son dégel pourrait toutefois être aussi inéluctable après 2100 si nous n’atteignons jamais le net-zéro).
On trouve enfin en Arctique les paysages marécageux de la toundra et ses sols en permanence gelés (le «permafrost»). Dans ces régions arctiques, quand les températures chutent, le sol gèle en profondeur et devient imperméable. En zone de pergélisol, la couche superficielle (roche, sédiment minéral ou organique) représente une couche active qui se développe chaque été et regèle chaque hiver. Ces cycles de gel et de dégel façonnent les paysages de marécages des toundras, l’eau ne pouvant s’infiltrer en profondeur et restant donc à la surface. Le sol gelé conserve en son sein :
Beaucoup de CO2 accumulé au cours du temps qui n’a pas pu se dégager compte tenu des sols gelés.
Beaucoup de méthane lui aussi conservé sous le sol gelé au fil du temps. ( voir l’article de Nature sur l’accumulation de méthane sous la cryosphère Arctique)
Beaucoup de métaux toxiques comme le mercure qui se sont accumulés au cours du temps ( la circulation atmosphérique tend à concentrer les métaux toxiques dans les latitudes élevées).
Les dynamiques climatiques s’accélèrent dans la zone arctique.
Nous voyons une série de phénomènes en accélération dans les différents milieux de l’Arctique qui doivent nous alerter :
Sur l’océan
L’augmentation de la température annuelle moyenne à la surface de l’Arctique entre 1971 et 2019 a été trois fois supérieure à l’augmentation de la moyenne mondiale au cours de la même période, il s’agit du phénomène connu sous le nom d’amplification arctique.
Avec le changement climatique, cette banquise de près de trois mètres d’épaisseur dans les années 70-80, n’est plus que d’un mètre en moyenne aujourd’hui – 70% de cette glace a disparu. Chaque été, cette fine couche de glace fond drastiquement pour ne plus recouvrir mi-septembre que 1/3 de la surface de cet océan. Il n’y aura pratiquement plus de banquise aux mois de septembre, dès l’horizon 2045 sous l’effet des dynamiques en cours, rappelle le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) .
Vous pouvez consulter le résumé de l’étude scientifique de l’université d’Exeter des effets climatiques sur la banquise .
Sur les calottes glaciaires
Récemment la fonte de «l'inlandsis» groenlandais semble s'être accélérée. Pour le GIEC, dans le pire scénario de réchauffement, l'élévation du niveau marin au cours de ce siècle sera d'environ 1 à 2 mètres.
Vous pouvez consulter le résumé de l’étude scientifique de l’université d’Exeter des effets climatiques sur les grandes calottes glaciaires .
Sur la terre
On constate une augmentation des événements extrêmes dans les zones boréales tels que les fortes pluies ou chutes de neige, des tempêtes, des températures élevées et des feux de forêt considérables ( nous avons couvert dans un article cette année l’accélération des incendies en zones boréales (Canada et Sibérie notamment) envoyant des quantités importantes de CO2 dans l’atmosphère.
Le sol gelé («permafrost») dans la région arctique contient le double de la quantité de CO2 présente dans l’atmosphère et le triple de ce qui a été émis par les activités humaines depuis 1850. Or, ces dernières décennies, sous l’effet du réchauffement climatique, les incendies de toundra n’ont cessé d’augmenter et ont connu un record en 2023, note la NOAA (National Oceanic and Atmosphérique Administration).
Ces incendies contribue aussi à l’augmentation des gaz à effet de serre. La NOAA estime ainsi que la toundra relâche à présent davantage de CO2 qu’elle n’en stocke. C’est évidemment un signe alarmant.
Le sol gelé dont la température augmente dégage progressivement et libère dans l’atmosphère des quantités croissantes de méthane et de métaux toxiques (mercure par exemple) qui sont pour l’instant encore conservées grâce au gel.
Vous pouvez consulter le résumé de l’étude scientifique de l’université d’Exeter sur les effets climatiques sur les sols gelés(«permafrost»).
Comment appréhender les conséquences ?
Le changement climatique prédit depuis 30 ans et observé, est particulièrement fort en Arctique et a des conséquences sur l’ensemble de la planète.
Le dernier rapport du NOAA sur l’Arctique est éloquent sur les indicateurs d’impact sur l’environnement ( The Arctic report Card 2024).
Ce qui se passe en Arctique ne reste en effet pas en Arctique.
Les conséquences sont globales pour l’environnement :
la fonte de la calotte du Groenland est en cours, occasionnant à long terme, une forte augmentation du niveau de la mer.
Le dégel de larges zones de «permafrost» en Sibérie et au Canada pourrait générer de fortes émissions supplémentaires de gaz à effet de serre ainsi que des métaux toxiques.
La fonte de la banquise et de la calotte du Groenland engendre une réduction de l’effet Albédo et contribue à accélérer le réchauffement . Cet effet Albédo permet grâce à la blancheur de la neige et la glace de réfléchir les rayons du soleil et réduit le réchauffement tant que les surfaces glacées se maintiennent.
La fonte de la banquise qui est un gigantesque « réfrigérateur » des océans va contribuer aussi au réchauffement général des océans et du climat ainsi que des effets climatiques catastrophiques (tempêtes et ouragans).
Au delà du climat, nous pouvons aussi mentionner les conséquences géopolitiques absolument considérables de ce réchauffement :
La fonte de la banquise transforme un océan glacé interdisant le passage en une quasi-mer ouverte permettant le trafic maritime marchand et militaire .
La Russie obsédée depuis toujours par l’accès aux mers chaudes et qui est pour l’instant endiguée par les pays occidentaux en mer noire, mer baltique et mer méditerranée pourra dans les prochaines décennies avoir accès aux océans via le nord et du coup retrouver une force stratégique importante.
La Chine a compris l’importance de la zone et déploie une « route polaire de la soie » en installant des infrastructures portuaires et des bases dans l’arc Arctique (Sibérie, Norvège, Finlande, Islande).
Les États-Unis doivent donc repenser leur stratégie fondée jusque là sur l’endiguement de la Chine et la Russie. Ils ont lancé une nouvelle stratégie arctique depuis 2019 faite de nouvelles bases en Arctique et en Atlantique Nord. C’est peut-être aussi une raison pour les Etats-Unis de ne pas délaisser l’OTAN qui maintenant intègre la Finlande et la Suède dans ses rangs.
Dans le récent livre de stratégie «The Retreat from Strategy» écrit par le Général Lord David Richards et Julian Lindley-French, le scénario envisagé pour 2030 imagine que les russes envahissent l’archipel norvégien du Svalbard créant un dilemme stratégique pour l’OTAN afin de décider une éventuelle frappe nucléaire de rétorsion.
Alors que pouvons nous faire ?
Bien sûr reprendre le contrôle des températures par la réduction des émissions reste l’arme la plus importante à moyen terme mais nous savons que cette bataille demandera plus de temps et n’empêchera pas l’Arctique de basculer au 21ème siècle dans le réchauffement avec toutes ses conséquences.
Il nous reste trois actions additionnelles pour le court terme :
Investir plus dans la recherche scientifique pour comprendre plus précisément la nature et la vitesse des phénomènes en cours (fonte des calottes et de la banquise, comportement du permafrost).
Investir dans les efforts de résilience comme nous l’avons vu dans un article dédié sur ce sujet. Nous y reviendrons mais les investissements consistant à s’adapter au réchauffement devront fortement se développer.
Réfléchir aux investissements possible dans le « géoengineering ».
Le « géoengineering » est une technologie controversée qui consiste à manipuler les éléments naturels pour inverser les mécanismes à l’œuvre dans le réchauffement climatique.
Ce mécanisme est néanmoins regardé pour la zone Arctique compte tenu
du caractère catastrophique des conséquences du réchauffement arctique
et de son isolation avec peu d’habitants permettant de considérer des expérimentations avec des risques limités pour les populations.
Pour l’Arctique deux méthodes sont regardées:
Pomper de l’eau salée sous la glace en hiver pour l’ajouter au dessus de la banquise et permettre à celle-ci de s’épaissir et ajouter en fin d’hiver une couche de neige pour l’isoler avant les mois d’été. Une startup Real Ice développe par exemple ce type de projets.
Injecter dans l’atmosphère des particules réfléchissantes des rayons du soleil pour faire baisser les températures. Cette méthode s’appelle le «géoengineering » solaire :
La nature elle-même a déjà expérimenté cette situation lors d’éruptions volcaniques comme par exemple celle du Mont Pinatubo dans les Philippines en 1991 qui a envoyé 20 millions de tonnes de dioxyde de sulfure refroidissant ainsi la terre de 0.5 degrés. Les particules de sulfure dioxyde réagissent avec la vapeur d’eau pour former des gouttes reflétant ainsi les rayons du soleil.
Il est nécessaire de developper les recherches et les expérimentations pour tenter de comprendre les effets induits de cette manipulation de l’atmosphère avant une utilisation à grande échelle sur la zone arctique.
Nous venons de voir les conséquences potentiellement exponentielles du réchauffement climatique dans la zone Arctique avec des bouleversements sur l’ensemble de notre planète. La recherche scientifique, les efforts technologiques et les efforts de résilience sur l’ensemble de la planète devront s’accélérer. Nous suivrons dans nos article futurs tout particulièrement ces efforts essentiels.
Bonne Semaine
Philippe
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