La bataille de l'électricité verte peut-elle être gagnée ?
The Nature Letter on Sunday #26 - Alors que la demande en électricité augmente rapidement, l'offre d'électricité verte doit pouvoir suivre la demande
Le dernier rapport de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) intitulé «Global Energy Outlook 2024» souligne la croissance de la demande énergétique dans le monde et l’importance grandissante de l’électrique.
Le rapport identifie les enjeux de l’électrique sur le plan de la transition climatique et sur les technologies de l’énergie.
Nous allons évaluer dans cet article dans quelle mesure cette demande croissante peut être satisfaite en respectant les objectifs de réduction des émissions, notamment en permettant l’abandon progressif des centrales thermiques au charbon et aux hydrocarbures.
Des besoins croissants en électricité sont constatés.
L’utilisation de l’électricité augmente deux fois plus vite que la demande globale en énergie.
La Chine, les pays émergents et les pays en développement (tout particulièrement en Asie) représentent environ 80% de l’augmentation de la demande d’ici à 2030 avec les besoins liés à leur croissance économique et l’électrification de leurs usages (air conditionné, chauffage, urbanisation).
Les pays développés, qui montraient récemment une certaine stabilité de leurs besoins, vont de nouveau accroître leur demande dans les prochaines années pour servir leurs nouveaux usages de l’électricité :
Le chauffage avec les pompes à chaleur.
La mobilité avec les véhicules électriques.
Les centre de données ( les «datacenters») avec l’explosion de l’Intelligence Artificielle.
Une forte accélération de la production d'électricité «décarbonée» est en cours. Elle s’appuie sur des capacités industrielles grandissantes.
La montée en puissance des sources d’électricité propres est très nette :
Un record absolu de 560 gigawatts (GW) de nouvelles capacités en énergies renouvelables ont été mises en service dans le monde en 2023.
Le rythme d’accélération actuelle laisse entrevoir un objectif de doublement de la capacité totale pour atteindre une capacité de 10000 GW en 2030 (pour 4250 GW aujourd’hui).
Les sources d’énergies «décarbonées» s’appuient en effet sur un «momentum» fort avec des taux de croissance importants constatés entre 2010 et 2023 :
Le solaire photovoltaïque a été multiplié par 40.
L’éolien en mer par 6.
Les bioénergies (biomasse etc) par 2.5.
L’hydroélectrique par 1.4.
L’augmentation du renouvelable est mondial mais l’accélération de la Chine est particulièrement impressionnante :
A elle seule, elle compte 60% des capacités nouvelles en énergie renouvelable.
Si la tendance se poursuit, le solaire photovoltaïque chinois sera capable de produire autant d’électricité en 2030 que la consommation totale d’électricité des États-Unis.
Les politiques de développement du nucléaire commencent aussi à accélérer notamment en France avec la mise en route de l’EPR de Flamanville et un plan pour 2050 avec la construction d’au moins six nouveaux grands réacteurs (potentiellement 8 de plus) et aussi le lancement d’une flotte de petits réacteurs modulaires totalisant une capacité de 40 GW supplémentaires.
Les moteurs de cette croissance s’appuient donc sur des fondamentaux industriels forts :
Les capacités industrielles montrent une adaptation à produire x2 ou x3 par rapport au rythme actuel notamment sur le photovoltaïque et sur les batteries lithium-ions.
La baisse des prix unitaires de la production de solaire et d’éolienne est assez impressionnante propulsant ces énergies dans le camp des énergies qui sont plus compétitives que les énergies fossiles.
Le «moteur chinois» intensifie un point de bascule ou «tipping point» pour la planète entière sur le renouvelable comme nous l’avions identifié dans notre article sur le sujet des « points de bascule » du climat . Comme nous l’avons vu, la Chine «met le paquet» sur le renouvelable ce qui permet la forte baisse des prix unitaire de l’électricité solaire en s’appuyant sur la construction de capacités industrielles de gros volumes.
L’augmentation de l’électricité «décarbonée» va t’elle permettre d’absorber la croissance de la demande et atteindre progressivement les niveaux nécessaires pour le «Net Zéro Émission» (NZE) ?
L’accélération des énergies renouvelables que nous venons de constater est une bonne nouvelle.
Mais pour l’instant, les nouvelles capacités ne compensent malheureusement pas encore les nouveaux besoins en énergie.
Certains pays continuent toujours d’augmenter leur utilisation du charbon et de combustibles fossiles pour produite de l’électricité.
Au total, la consommation mondiale de charbon a atteint un nouveau sommet de 8687 millions de tonnes (Mt) en 2023 soit une augmentation de 2,5% par rapport à l’année précédente.
Par exemple la Chine, qui nous l’avons vu est pourtant le champion du renouvelable, a augmenté sa consommation de charbon de 6% en 2023 et elle représente à elle seule 56% de la demande globale.
L’Inde est l’autre grand consommateur mondial de charbon et a vu sa consommation augmenter également de 10% en 2023 à 1285 Mt.
Les prédictions de l’AIE sont néanmoins optimistes si on se place dans un horizon à moyen terme.
Les énergies renouvelables pourraient ainsi permettre de compenser l’augmentation de la demande en énergie autour de 2030.
L’AIE note cependant une certaine incertitude sur les niveaux et la nature de la demande en électricité avec de nombreux paramètres incertains :
La vitesse et la profondeur de pénétration des véhicules électriques.
La croissance de l’utilisation des pompes à chaleur pour le chauffage.
La diffusion de l’air conditionné électrique dans les pays en développement.
La rapidité de croissance de l’intelligence artificielle et l’augmentation de puissance et du nombre de centre de données ( les «datacenters») dans le monde.
La production d’hydrogène qui est anticipée comme une des solutions de transition pour certains secteurs clefs (sidérurgie, ammoniac, raffineries) et qui nécessitera de fortes puissances électriques.
Gagner la bataille de l’électricité « décarbonée » passera par des investissements technologiques importants notamment en Europe.
Les capacités industrielles sur le renouvelable et le nucléaire se développent mais certaines technologies restent à améliorer pour permettre la généralisation de ces énergies :
Le renforcement des technologies sur les réseaux électriques :
Les énergies renouvelables sont par nature intermittentes (le soleil et le vent) et génèrent donc de fortes distorsion de production électrique.
Il est donc nécessaire de renforcer les capacités et le maillage des réseaux électriques et de les rendre plus intelligents («smart grids») pour gérer les variations de charge et la possibilité de les utiliser en mode bi-directionnel ( dans les deux sens).
La mise au point de nouvelles technologies de stockage d’énergie et le développement industriel pour la production de ces équipements :
La nature intermittente des énergies renouvelables nécessite aussi la capacité de stocker l’énergie lors des pics de production (par exemple le jour) pour la libérer lors des creux de production (par exemple la nuit).
Aujourd’hui un certain nombre de pays conservent des centrales au charbon ou au fioul qu’ils utilisent simplement pour permettre de pallier aux creux des énergies renouvelables (par exemple en hiver).
Ces technologies sont variées (stockage par pompage, stockage air comprimé, stockage hydrogène, volants d’inertie, batteries, stockage de chaleur)
Les investissements en Recherche et Développement (par exemple la mise au point de meilleures batteries) et dans la production industrielle de ces équipements sont donc vraiment nécessaires.
L’investissement sur des unités décentralisées pour le solaire et l’éolien :
Le solaire photovoltaïque et l’éolien représente le potentiel renouvelable le plus important.
Le modèle traditionnel fait appel à l’installation de grandes fermes solaires ou éoliennes (notamment en mer).
Ce modèle continuera à se développer mais ces types d’installation requièrent beaucoup d’espace. La possibilité d’utiliser des surfaces déjà utilisées pour d’autres usages est une opportunité énorme (toit des centres commerciaux, toit des immeubles de bureaux et immeubles d’habitation etc).
L’investissement sur la géothermie et le nucléaire :
La géothermie et le nucléaire sont des sources d’énergie très séduisantes puisqu’elles sont par nature presque infinies et constantes.
Les investissements en innovation et le passage à l’échelle industrielle pour la géothermie et le développement de la technologie des petits réacteurs pour le nucléaire sont des opportunités très intéressantes.
Le développement de filières fortes industrielles et d’approvisionnement en Europe pour s’affranchir d’une trop grande dépendance de la Chine :
La Chine est en avance sur les technologies et les bases industrielles du solaire et des batteries notamment. Il est donc urgent pour l’Europe de se mobiliser et travailler ensemble à la mise au point d’une filière plus forte.
La Chine est aussi au centre de l’apport et du raffinage des minéraux rares qui sont essentiels aux technologies de l’électrique (lithium, cuivre, manganèse, nickel, silicium, cobalt, graphite, tellurium, cadmium, germanium). La diversification des sources d’approvisionnement par l’Europe est une priorité à ne pas négliger pour assurer notre souveraineté.
La question posée est aussi de savoir si les volontés politiques en Europe permettront de prendre un pied significatif et compétitif sur ces technologies clef et de ne pas se laisser distancer encore plus par la Chine ou les Etats-Unis. La nouvelle commissions semble toujours motivée sur ce sujet comme le montre la déclaration faite la semaine dernière à Davos par Ursula Van Der Leyen.
Les engagements substantiels en investissements ou dans l’amélioration du marché électrique en Europe, comme le recommande le dernier rapport Draghi, ne sont en revanche toujours pas encore lancés.
En conclusion, la situation est encourageante sur le plan mondial du développement des énergies renouvelables.
Nous avons la perspective de pouvoir répondre quantitativement d’ici 2030 aux nouveaux besoins puis de progressivement atteindre les étiages nécessaires à l’obtention du Net Zéro Émission (NZE).
Les besoins de progrès technologiques et industriels sur les infrastructures, la chaîne d’approvisionnement et les technologies clefs sont clairement établis.
Il reste à voir si nous allons suffisamment nous mobiliser à l’échelle européenne à travers des politiques publiques ambitieuses et des flux de capitaux privés pour prendre la place que nous méritons sur le marché mondial des technologies de l’électricité.
Nous reviendrons dans nos articles futurs sur ce sujet pour suivre les avancées sur ce secteur clef pour la transition climatique.
Bonne semaine à tous
Philippe
Https://o2nature.substack.com