Connaissez vous le biomimétisme?
The Nature Letter On Sunday #021 - L’innovation par le vivant peuvent nous inspirer dans de nombreux domaines et alimenter un courant d’innovations prometteuses
Nous avons identifié dans un article récent l’importance de la biodiversité pour notre bataille climatique.
Mais la biodiversité nous apporte aussi de l’inspiration pour notre progrès technologique.
Nous nous penchons ainsi cette semaine sur les apports de la biodiversité comme inspiration pour notre innovation grâce au biomimétisme qui se définit comme une approche qui s’inspire de la nature pour imaginer des technologies performantes et trouver des solutions parfois très simples à des problèmes complexes.
Rappelons d’abord pourquoi les êtres vivants sont si résistants ?
Au cours des dernières 600 millions d’années, la vie a connu 60 périodes d’extinction dont 5 crises majeures. Elle a traversé de longues époques plutôt tranquilles mais également des crises catastrophiques qui ont précédées des épisodes de spécialisation intense des espèces pour s’adapter à ces nouvelles conditions. Nous pouvons rappeler les apports de Charles Darwin ( notamment dans son livre très connu « L’origine des espèces ») sur la théorie de l’évolution au moyen de la sélection naturelle.
Apprenons avec humilité de la nature.
Prendre conscience des capacités d’adaptation, de résistance et de résilience de la nature est une étape clef dans l’appréhension de la réalisation de notre transition énergétique et écologique.
Contrairement à la révolution industrielle, l’innovation par le vivant ouvre une ère qui ne repose pas sur ce que nous pouvons prendre dans la nature, mais bel et bien sur ce que nous pouvons en apprendre.
Cela part donc d’une leçon d’humilité et de découverte des prouesses faites par la nature comme les exemples suivants :
Les pollinisateurs, les oiseaux ou encore les tortues s’orientent sans GPS.
Les mammifères marins ou les manchots peuvent plonger sans scaphandre.
Le vol des libellules surpassent celui des hélicoptères les plus performants.
Certains rapaces peuvent voler en vol stationnaire au milieux de vents très violents.
Les colibris traversent le Golfe du Mexique avec moins de trois grammes de «carburant».
La nature nous montre une approche de résilience et de robustesse tout à fait étonnante.
Elle a appris à transformer les limites en opportunités en les utilisant comme force et comme un mécanisme de focalisation.
Devant ce chef d’œuvre, certains scientifiques sont convaincus que les innovations qui s’appuient sur la nature offrent un levier important pour nous.
Pour résumer la définition du biomimétisme nous pouvons utiliser les deux citations scientifiques ci dessous :
Dans son livre « Biomimicry, innovation inspired by nature » publié en 1997, traduit en français en 2011, Janine M. Benyus , une scientifique américaine , définit le biomimétisme comme une « démarche d’innovation qui fait appel au transfert et à l’adaptation des principes et stratégies élaborés par des organismes vivants et les écosystèmes, afin de produire des biens et des services de manière durable, et rendre les sociétés humaines compatibles avec la biosphère. […] Contrairement à la révolution industrielle, la révolution biomimétique ouvre une ère qui ne repose pas sur ce que nous pouvons prendre dans la nature mais sur ce que faire les choses à la manière de la nature offre en effet la possibilité de changer notre façon de cultiver, de fabriquer des matériaux, de produire de l’énergie, de nous soigner, de stocker de l’information et de gérer nos entreprises ».
En 2015, Gilles Bœuf (président du Muséum national d’Histoire naturelle) complète cette définition : « Prenant pour support d’analyse le vivant, la biomimétique traduit par un effort d’abstraction, les modèles biologiques analysés en concepts techniques ou développement industriels. Par construction, il s’agit donc d’une démarche interdisciplinaire sollicitant science fondamentale et science de l’ingénieur » (Boeuf, 2015).
Les trois niveaux d’inspiration biomimétiques pour nos ingénieurs.
Les ingénieurs en biomimétisme vont chercher l’inspiration dans trois domaines d’exigence croissante :
Du plus simple en imitant les formes et les structures du vivant,
au plus complexe en imitant les fonctions organiques,
ou encore l’organisation des écosystèmes.
Niveau 1 : Utiliser les formes adoptées par les êtres vivants
Dans la nature, forme est synonyme de fonction. Rien n’est laissé au hasard. Chaque organe a évolué au cours des générations sous le prisme des forces évolutives pour répondre à un besoin fonctionnel d’adaptation à un milieu donné. C’est cette forme de biomimétisme qui a connu le plus grand développement.
C’est en effet grâce à cette réflexion méthodique que nous devons par exemple :
L’invention du Velcro, fixation auto-agrippante inspiré des fleurs de bardane dont les bractées équipées de petits crochets s’agrippent au pelage des animaux et permettent une dispersion par zoochorie.
La «peau de phoque» bien connue des skieurs de montagne. Imitant le poil de phoque très serré et très lisse permettant dans un sens de bien glisser et dans l’autre de parfaitement s’accrocher pour monter les pentes sans glisser.
Le train à grande vitesse japonais Shinkansen 500 fut dessiné par référence au bec et à la tête du martin-pêcheur qui a la capacité de passer très rapidement d’un milieu peu dense (l’air) à un milieu plus dense (l’eau) pour permettre à ce train de traverser les tunnels à grande vitesse .
Les avions modernes ont des extrémités d’ailes inspirées des vautours, ces « winglets » installés pour diminuer la consommation de carburant qui s’inspirent du fait que les grands rapaces en vol relèvent leurs rémiges du bout des ailes pour mieux se stabiliser et économiser leur énergie.
Les pales d’éoliennes inspirées des nageoires de baleines, complétées par des peignes inspirés des plumes de hibou pour fendre l’air en silence et réduire les nuisances sonores occasionnées.
Un super adhésif inspiré du gecko a été mis au point : Ces petits reptiles sont surtout connus pour leur capacité à grimper sur pratiquement n’importe quelle surface, y compris les murs verticaux et les plafonds. Cette capacité incroyable est due à la structure unique de leurs pattes.
Des fabricants de maillots de bain ont développé des tissus qui imitent la texture de la peau de requin qui n’est pas lisse comme on pourrait le penser, mais recouverte de minuscules denticules cutanés, sortes de petites « dents » de peau. Ces denticules créent des micro-courants dans l’eau qui réduisent la traînée, permettant au requin de nager rapidement et silencieusement.
L’architecture des immeubles peut s’inspirer des termitières. Les termitières sont des merveilles d’ingénierie naturelle, capables de maintenir une température constante dans des conditions extérieures extrêmement variables. L’architecte Mick Pearce s’est inspiré de cette conception pour concevoir des bâtiments qui utilise un système de ventilation similaire pour réduire les coûts de climatisation.
L’effet Lotus : Cette plante fascine depuis longtemps les hommes, mais depuis quelques années les chercheurs ont découvert les raisons des 2 propriétés les plus intéressantes du Lotus: sa super hydrophobie et sa capacité auto-nettoyante. On pense que la plante a développé ses capacités en raison du milieu marécageux . Les ingénieurs travaillent sur la reproduction de ces effets pour réduire certains traitements chimiques, ou envisager des vêtements de meilleure qualité.
Niveau 2 : S’inspirer des matériaux et les processus de fabrication opérant chez les êtres vivants.
Dans la nature, l’élaboration de la matière s’effectue dans des conditions qui respectent la vie : grâce à l’eau, aux rayons du soleil, à température et pression ambiantes, sans produit toxique ni consommation abusive d’énergie.
Ces solutions biologiques sophistiquées testées au fil de millions d’années ne font aucune concession sur la qualité et la complexité des matériaux produits.
Les résultats sont impressionnants comme le montre les exemples suivants:
Développée en milieu marin, la coquille des ormeaux est par exemple deux fois plus solide que nos céramiques de haute technologie.
Le mucus sécrété par les moules résiste à l’eau et adhère à tout.
Sur terre, l’exemple le plus connu est la soie d’araignée, cinq fois plus résistante que l’acier et inspire la création de nouveaux textiles pour la conception de gilets pare-balles.
Citons encore la corne du rhinocéros, qui même dépourvue de cellules vivantes parvient à se régénérer.
Les innovations dans ce domaine sont naissantes mais le potentiel est important pour imiter la photosynthèse ou concevoir des produits de chimie bio-inspirés. Ce secteur va aussi se développer avec l’apport des nano technologies.
Nous pouvons citer quelques premiers exemples :
Reproduire une partie de la photosynthèse artificielle : La première étape de la photosynthèse (qui consiste à capter les photons lumineux et à dissocier les charges électroniques) a déjà inspiré la création d’une nouvelle génération de cellules photovoltaïques.
Imiter le fonctionnement des membranes cellulaires biologiques pour diverses applications. Ce développement laisse entrevoir des applications significatives :
Dans le domaine du stockage de l'énergie, ces membranes pourraient permettre la mise au point de dispositifs à grande échelle pour stocker l'énergie électrique.
Dans le domaine du dessalement de l'eau, elles peuvent constituer des barrières hautement sélectives qui séparent efficacement les ions de l'eau.
Dans les traitements médicaux tels que la dialyse, la capacité des membranes à filtrer sélectivement les ions pourrait conduire à des procédures plus efficaces et moins invasives.
Enfin, ces membranes pourraient permettre la mise en place de sources d'énergie électrique implantables, rechargées en continu à partir de l'énergie métabolique du corps.
Imiter le fonctionnement des structures des protéines des membranes biologiques pour la mise au point de nouvelles membranes de filtration d’eau.
Niveau 3 : Communiquer et s’organiser comme le font les écosystèmes
Les interactions au sein des écosystèmes naturels s’appuient sur des cycles fermés, des boucles de rétroaction, des redondances, des sous-systèmes auto-adaptatifs et la variabilité. Ils fonctionnent grâce à un jeu d’interactions au sein duquel chaque individu apporte sa contribution pour créer un équilibre général du système.
Nous pouvons citer quelques exemples :
Le réseau souterrain du sol forestier est un lieu de communication, d’échange et de transaction qui garantit le maintien de conditions de vie idéale pour le développement de chacun et permet au plus grand nombre de s’épanouir et de vieillir.
Dans les forêts tempérées, les chênes se protègent de l’attaque des chenilles en synthétisant de grandes quantités de tanin qu’ils relaient par voie racinaire à leurs voisins pour les prévenir du danger. Le message est ensuite transmis par les hyphes des champignons aux individus plus éloignés.
De l’autre côté de la Méditerranée dans la savane africaine, les acacias utilisent un langage olfactif secret pour se protéger des girafes : en dégageant de l’éthylène avertisseur relayé par le vent, les acacias avertissent leurs congénères d’un danger imminent les incitant à gorger leurs feuilles de substances toxiques pour les rendre non comestibles par leurs prédateurs.
Dans ce domaine, Les stratégies bio-inspirées pourrait s’appliquer à l’économie circulaire, l’agriculture régénératrice ou la construction des villes durables . Sur ce dernier point, ces stratégies visent à repenser la ville comme un écosystème qui devrait fournir, a minima, les mêmes niveaux de performance écologique que l’écosystème natif. Dans cette nouvelle perspective de développement urbain, les bâtiments et autres structures artificielles seraient localement adaptés et fonctionneraient comme des organismes ou des écosystèmes naturels, assurant l’accueil de la biodiversité, la capture, la purification et le stockage des eaux de pluie, la conversion de la lumière du soleil et de la force du vent en énergie utilisable et celle du dioxyde de carbone en oxygène, la protection des sols contre l’érosion, l’élimination des déchets.
Fort de ce potentiel de recherche et développement considérable, la prise de conscience de l’intérêt du biomimétisme se développe rapidement.
S’il est un domaine dans lequel le biomimétisme doit être considéré c’est bien sur le développement durable. Le biomimétisme en tant que démarche et méthodologie d’innovation est transversal par nature et d’intérêt pour presque tous les secteurs d’activités : transport, textile, énergie, industries.
On peut imaginer une foison de solutions :
En matière de transport, les bancs de poissons composés de milliers d’individus se déplaçant à une vitesse fulgurante sans jamais se percuter sont un modèle potentiel pour les gestionnaires du trafic routier qui tentent de gérer le problème des embouteillages.
Pour la logistique de gestion des flux de marchandises, les myxomycètes (organismes unicellulaires plus communément connus sous le nom de moisissure) font partie des modèles biologiques les plus inspirants : elles développent un front de croissance qui se ramifie en de multiples tubes qui puisent les nutriments et les redistribuent dans tout l’organisme selon un réseau efficacement optimisé.
Dans le domaine du bâtiment et de la construction c’est une véritable ménagerie qui pourrait être observée pour inspirer : isolation inspirée du pelage des ours polaires, matériaux de construction conçus et superposés à la manière des écailles du pangolin (qui allient souplesse et rigidité et lui prodiguent une protection à la fois efficace contre les prédateurs et contre les piqûres de fourmis dont ils se nourrit), système de récupération d’eau de pluie conçu comme un scarabée du désert. Les exemples bio-inspirés alliant efficacité énergétique en un minimum de dépenses et de ressources utilisées regorgent aussi bien dans le monde animal que végétal.
Les mailles de textiles anti-sudation bio-inspirés des pommes de pins (la conformation de leurs écailles changent en fonction des conditions d’humidité) changent de conformation pour laisser échapper la sueur par évaporation.
Dans le secteur de l’énergie, les organismes sont les champions de la sobriété énergétique. S’inspirer de leur morphologie ou de leur mode de mouvance apparaît être donc une stratégie pertinente. Chez certains poissons, l’énergie issue des mouvements musculaires est captée et ré-employée pour leur propulsion. Cette capacité associée à une morphologie aérodynamique est un exemple remarquable d’efficacité énergétique dans le domaine des transports. Dans le secteur des énergies renouvelables, Jean-Baptiste Drevet, président de la société EEL ENERGY, a développé une hydrolienne à membrane ondulante inspirée du mouvement natatoire des poissons.
Les équipes de recherche et les startups s’organisent progressivement un peu partout dans le monde.
En France, ce sont plus de 175 équipes de recherche qui travaillent sur le sujet du biomimétisme et plus d’une centaine d’entreprises issus de secteurs d’activité divers qui font appel à cette démarche.
Cet engouement pour le biomimétisme est porté en France par le CEEBIOS (Centre Européen d’Excellence en Biomimétisme de Senlis), réseau national de compétence en biomimétisme qui fédère un réseau d’experts et développe les ressources indispensables à l’intégration de la démarche par des acteurs aussi bien publics que privés.
Nous pouvons citer aussi quelques startups qui se mobilisent sur des technologies bioinspirées :
Glowee illumine les villes grâce à la bioluminescence : À la nuit tombée, on peut parfois voir les vagues briller d’une lumière bleue au moment où elles s’écrasent sur le rivage. Ce phénomène est dû à des organismes luminescents qui produisent de la lumière. À l’image des lucioles et de nombreuses espèces marines, cette lumière est fournie grâce à des bactéries, des organismes vivants cultivables à l’infini. La startup reproduit cette bioluminescence pour éclaire les villes. Les principaux clients de l’entreprise sont des collectivités locales, des campus ou des intermédiaires de l'aménagement du territoire tels que des promoteurs et des architectes. Cette innovation pourrait concurrencer la LED, dont la fabrication très énergivore nécessite l'utilisation de terres rares. Les bactéries bioluminescentes ont quant à elles une durée de vie potentiellement infinie et sont totalement biosourcées.
Bioteos purifie l’air grâce aux microalgues qui se nourrissent de la pollution. Cette innovation a pour vocation d’être utilisée dans les espaces intérieurs accueillant du public, tels que les métros, les écoles ou les bureaux.
BioInspir dépollue les sols grâce aux plantes : Cette société industrielle s'appuie sur le pouvoir des plantes pour absorber les métaux lourds des effluents industriels. L’objectif est de dépolluer les sols et et de récupérer les métaux absorbés pour les valoriser. Les éléments métalliques deviennent alors d’excellents « écocatalyseurs », 100 % biosourcés, utiles aux industries pharmaceutique, cosmétique ou encore à la chimie fine pour produire d’autres molécules. A travers cette innovation de rupture, Claude Grison, la chercheuse au CNRS à l’origine de cette startup, est pionnière de l’écocatalyse, une nouvelle approche scientifique combinant écologie et chimie.
Corail Artefact sauve les coraux grâce à la création de structures biosourcés sous forme de dentelle imitant la nature. Ils ne couvrent que 0,2 % de la surface des océans mais des centaines de millions de personnes en dépendent pour se nourrir, travailler ou se protéger des tempêtes et de l'érosion. Les récifs coralliens, l'un des écosystèmes les plus anciens, disparaissent petit à petit à cause du réchauffement climatique. La startup teste des solutions écologiques et des matériaux innovants bio-inspirés pour permettre au corail de se régénérer et reconstituer les barrières en danger.
FinX propulse les bateaux en s’inspirant des nageoires des animaux marins pour révolutionner la propulsion nautique. L’entreprise conçoit des moteurs de bateau sans hélice en se calquant sur les mouvements des animaux marins, comme les dauphins par exemple. La startup a conçu deux moteurs électriques à nageoire pour remplacer les moteurs thermiques. Destiné au marché des loueurs de bateaux sans permis, des écoles de voile et des moteurs de petits voiliers, l’entreprise s’apprête à passer le cap de l’industrialisation et a été choisie par les JO de Paris pour le transport des stars sur la Seine lors de la cérémonie d’ouverture.
Nous venons de voir que le potentiel du biomimétisme est très intéressant pour notre progrès technologique. Il est une excellente façon de nous réconcilier avec la nature et de combiner la technologie avec le respect de la biodiversité. Nous suivrons dans nos articles futurs les progrès faits dans ce domaine.
Bonne semaine
Philippe
Https://o2nature.substack.com