Va t’on pouvoir éliminer et remplacer les polluants "éternels"?
The nature Letter on Sunday #27 - Les effets nocifs des substances per- et polyfluoroalkylées sont progressivement mieux connus, des solutions alternatives et de dépollution doivent se développer
La presse et les organisations de consommateurs se font régulièrement l’écho des pollutions aux produits per- et polyfluoroalkylées (PFAS).
C’est par exemple le cas cette semaine avec les révélations concernant les analyses faites par les associations UFC-Que choisir et Générations future dans 33 villes en France.
Nous allons aborder dans cet article ce que sont vraiment les PFAS, ce que l’on sait sur les effets de ces molécules. Nous aborderons ensuite les solutions alternatives et les options de dépollution.
Que sont les PFAS ?
Les PFAS représentent un groupe de plus de >10000 produits chimiques de synthèse employés dans l’industrie et les produits de consommation depuis les années 1940.
Ces molécules ont des qualités physico-chimiques remarquables et même exceptionnelles, notamment :
Anti-adhésives.
Déperlantes et anti tâches.
Résistantes aux températures élevées et aux conditions extrêmes.
Elles sont utilisées dans une grande série de produits, par exemple les poêles anti adhésives au revêtement en Teflon ou encore les imperméabilisants comme le Gore-Tex.
Elles sont présentes dans de nombreux produits et sont aussi utilisées dans de nombreux procédés industriels, notamment :
Les pesticides (1/10 des molécules actives de pesticide contiennent des PFAS).
Les emballages alimentaires.
Les mousses anti-incendie.
Les implants médicaux.
Les peintures.
Les matériaux et gaz fluorés réfrigérants dans l’énergie (éoliennes, batteries de véhicules électriques, pompes à chaleur, climatiseurs).
La fabrication de semi-conducteurs.
Le traitement des métaux, des textiles ou des cuirs.
La fabrication de plastiques et de caoutchoucs.
Pourquoi sont elles dangereuses ?
Ces molécules chimiques ont deux caractéristiques qui les rendent très dangereuses :
Une stabilité extrême du fait de la chaîne carbone-fluor de leur structure chimique. Cette liaison est la plus forte en chimie organique, ceci leur confère une stabilité qui persiste donc pour des centaines et sans doute des milliers d’années. La conséquence est donc l’accumulation progressive des doses de ces molécules dans l’environnement.
Une grande mobilité car on les détecte partout dans notre environnement, dans les gouttes de pluie, les cours d’eau, les sols, les nappes phréatiques, les aliments, la quasi-totalité des organismes biologiques, humains en particulier. On les retrouve dans notre sang, et nos enfants naissent avec ces composés dans leur corps.
Quels sont leurs effets sur notre santé ?
La toxicité des PFAS est maintenant documentée par la recherche et est déjà associée à une douzaine de maladies.
En 2023, le Centre international de recherche sur le cancer a respectivement classé le PFOA et le PFOS, deux PFAS historiques, « cancérogène certain pour l’humain » (groupe 1) et « cancérigène possible » (groupe 2B).
Des méta-analyses d’études épidémiologiques font ressortir une association significative avec
Un faible poids à la naissance (lui-même associé à un risque élevé de maladies).
L’obésité et la dyslipidémie (anomalies liées au taux de cholestérol) chez l’enfant.
La puberté précoce.
L’hypothyroïdie chez les femmes.
Les cancers du rein et des testicules.
D’autres synthèses de publications scientifiques relèvent également un lien avec :
Des pneumonies chez les enfants.
L’obésité et une élévation du taux de cholestérol chez l’adulte.
Chez les femmes, le cancer du sein, le diabète et le diabète gestationnel, l’endométriose, le syndrome des ovaires polykystiques et l’infertilité.
Plusieurs études montrent également une réponse immunitaire diminuée à la vaccination chez l’enfant à des doses d’exposition infimes.
Malheureusement nous ne connaissons encore les effets que d’une minorité des molécules PFAS utilisées . Les études épidémiologiques demandent beaucoup de moyens et demandent des dizaines d’années pour obtenir des résultats. Nous serons donc dans le doute pendant longtemps sur de nombreux produits.
Comment les PFAS polluent notre environnement ?
Les voies de la pollution au PFAS sont les suivantes :
Les voies primaires :
Ils sont émis dans l’environnement par les usines qui les produisent.
Ils sont aussi émis par les usines les utilisant dans leurs procédés.
Ils sont émis par les utilisations spécifiques des PFAS comme les mousses anti-incendies.
Les voies secondaires :
Ils sont émis par la dispersion des déchets contenant des PFAS rejetés tels quels dans l’environnement.
Ils se diffusent et s’infiltrent dans les eaux souterraines et les nappes phréatiques.
Ils sont enfin absorbés par les organismes vivants dans le cycle alimentaire.
Nous voyons ainsi dans le schéma synoptique ci-dessous comment les PFAS polluent notre environnement et nous mêmes.
Quelles sont les mesures prises par les pouvoirs publics ?
La prise de conscience s’est faite progressivement au sein des pouvoir publics et de la population.
Cette prise de conscience s’est illustrée dans le film Dark Waters (Todd Haynes, 2019), l’acteur Mark Ruffalo incarne l’avocat Rob Bilott, à l’origine de la découverte du scandale de la pollution aux PFAS autour de l’usine DuPont de Parkersburg (Virginie-Occidentale, Etats-Unis) à la fin des années 1990. Une découverte qui a, depuis, engendré de nombreux procès aux Etats-Unis et coûté à la firme des milliards d’euros de compensations financières.
La montée en puissance des mesures contraignantes à l’échelle européenne est très nette.
Dés 2009, les Perfluorooctane Sulfonic Acids (PFOS) ont été inclus dans la convention internationale de Stockholm et dans le cadre du «EU’s Persistent Organic Pollutants regulation» (POP).
A partir de 2020, L’Europe s’est progressivement mobilisée pour étendre les restrictions en cohérence avec sa stratégie pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques :
Depuis le 4 juillet 2020, les Perfluorooctanaic Acids (PFOA) sont maintenant interdits.
Depuis février 2023, Les chaines longues d’acide carboxylique perfluoriné et les acides perfluorocarboxyliques sont restreints.
Depuis mai 2023, les Perfluorohexanesulfonic acids (PFHxS) sont aussi intégrés dans la législation (POP).
Dans ce contexte, une restriction globale des PFAS portée par cinq États membres - Suède, Norvège, Danemark, Pays-Bas et Allemagne - a été soumise en janvier 2023 et est en cours d’examen par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA).
Elle propose l’interdiction en Europe de la fabrication et la mise sur le marché de substances, mélanges et articles contenant des PFAS sur la base de leur caractère persistant.
Des dérogations, pour la plupart limitées dans le temps, sont proposées pour certains usages en fonction de la disponibilité d’alternatives applicables.
Cette restriction complète la proposition soumise en janvier 2022 par l’ECHA concernant plus spécifiquement l’interdiction des PFAS dans les mousses anti-incendie.
Une réglementation de la surveillance de ces molécules est aussi progressivement mise en place afin de protéger les populations.
Dans les eaux de consommation
Le suivi des PFAS dans les eaux de consommation a été introduit par la directive européenne 2020/2184 du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (EDCH) :
Une limite de qualité de 0,10 µg/L a été fixée pour la somme de 20 PFAS dans les EDCH.
Un autre paramètre, intitulé « PFAS (total) », est également introduit avec une limite de qualité associée de 0,50 µg/L : il vise à intégrer l’ensemble des PFAS mesurables dans l’eau.
Cette directive a été transposée en droit français en janvier 2023. L’arrêté du 11 janvier 2007 modifié intègre la limite de qualité de 0,1 µg/L pour les 20 PFAS et la recherche systématique des PFAS sera intégrée au contrôle sanitaire des EDCH par les Agences régionales de santé à partir du 1er janvier 2026.
Par ailleurs, le PFOS et ses dérivés figurent dans la liste des substances prioritaires de la directive cadre sur l'eau. Ils sont donc intégrés dans la surveillance et le contrôle des masses d’eau à l’échelle de l’Union européenne pour améliorer la qualité des eaux de surface et souterraines, tant au regard de l’état chimique que de l’état écologique. À l’échelle nationale, c’est l’arrêté du 25 janvier 2010 modifié qui établit le programme de surveillance de l’état des eaux en application de l’article R. 212-22 du code de l’environnement. Cet arrêté, modifié en 2022, intègre pour les eaux souterraines les 20 PFAS listés par la directive 2020/2184 du 16 décembre 2020 susmentionnée, et le PFOS pour les eaux de surface.
Dans les aliments
Depuis le 1er janvier 2023, quatre PFAS sont réglementés dans certaines denrées alimentaires d’origine animale (poissons, mollusques, crustacés, œufs, viande et abats d’animaux de boucherie, de volailles et de gibier) dans le cadre de la mise sur le marché de ces denrées (règlement (UE) 2023/915) : en cas de non-conformité, les produits ne peuvent être proposés à la vente. En revanche, il n’existe pas de valeurs limites pour les denrées autoproduites par des particuliers.
De plus, la Commission européenne a émis des recommandations ((UE) 2022/1431 et (UE) 2022/1428) pour que les États membres surveillent la teneur en plusieurs PFAS dans les denrées alimentaires au cours des années 2022 à 2025.
Alors comment pouvons nous arrêter l’accumulation de ces molécules dans l’environment ?
La première priorité est bien sur d’arrêter la production et l’utilisation de ces produits en mettant en place des alternatives aux PFAS dans les principaux produits contenant historiquement ces molécules .
Le durcissement progressif de la réglementation pousse les producteurs de produits à mettre au point des alternatives.
Des instituts de recherche développement se sont emparés du sujet comme le Fraunhofer institute for Silicate Research.
La perspective de l’interdiction complète des PFAS va pousser les acteurs industriels encore réticents à s’y mettre vraiment .
Une initiative européenne de collaboration entre 9 centres de recherche le « ZeroF» va permettre d’accélérer les travaux.
Ces travaux doivent continuer car l’obtention de produits alternatifs ayant les mêmes qualités physiques est un vrai défi pour la recherche et l’innovation .
Nous pouvons identifier des initiatives encourageantes dans différents secteurs :
Les textiles techniques
Les alternatives au Goretex et autres textiles spécialisés se sont développés ces dernières années.
Nous pouvons citer quelques marques et produits suivants : Helly Tech® Helly Hansen, Texapore Jack Wolfskin, Sympatex,Dermizax™ , DryVent™ DryVent: The North Face.
Il semble que les alternatives au Goretex pour l’imperméabilisation sont maintenant de performance acceptable. Il semble néanmoins encore difficile d’obtenir dans les produits alternatifs les qualités requises simultanément et au même niveau de performance que les produits contenant des PFAS (imperméabilisant, déperlant et respirant).
Les organisations professionnelles comme l’institut français du textile et de l’habillement se mobilisent pour développer des alternatives.
Les vêtements de très haute technicité qui requièrent une performance exceptionnelle dans la protection du corps contre la température, les flammes ou les fluides dangereux (pompiers, équipements de vêtements médicaux) ne trouvent pas encore d’alternatives aussi performantes sans PFAS.
Les emballages alimentaires :
Les alternatives aux matériaux et leurs surfaces contenant des PFAS commencent à se développer :
Les surfaces sans revêtement utilisant une compression de fibres pour rendre les surfaces étanches aux graisses (produits par exemple par Nordic Paper).
Les Biomatériaux comme le Polyactic Acid (PLA) qui est un plastique compostable faits à partir de Maïs ou les matériaux a base de Bambou ou feuilles de palme.
Les Revêtements d’argile ou de cire.
Les surfaces des poêles de cuisine.
Les alternatives aussi performantes que les PFAS n’existent pas vraiment mais l’utilisation de matériaux plus traditionnels est tout à fait acceptable notamment l’inox et la fonte et la recherche technique travaille pour améliorer les caractéristiques de ces produits anciens.
Les mousses anti incendie.
Des substituts de mousse sans fluor sont maintenant disponibles mais leur performance sur certains types d’incendies restent controversés entre spécialistes. Les mousses avec des PFAS seront encore sûrement conservées pour gérer certaines situations exceptionnelles.
Comment dépolluer notre environnement des PFAS ?
Nous venons de voir que la substitution des PFAS dans les produits et les procédés industriels est un effort de longue haleine.
Par ailleurs, comme nous l’avons vu, les PFAS sont «éternels».
Il faut donc de toute façon voir comment les éliminer dans notre environnement.
D’autant plus que la pollution déjà accumulée est importante comme le présente une étude journalistique de grande ampleur «le Forever Pollution Project». Ils ont ainsi identifié 17000 sites pollués en Europe .
Les efforts de dépollution ne sont malheureusement pas encore complètement murs car les techniques existantes restent onéreuses et difficiles à mettre en œuvre.
Néanmoins des développement encourageants sont constatés pour :
Pouvoir identifier et analyser les PFAS à la source.
Les recherches continuent pour pouvoir identifier rapidement et « tracer » les PFAS dans les eaux et les sols notamment . De récents efforts de l’University of Texas à Austin semblent intéressants.
Enlever les PFAS des eaux de consommation.
Des solutions de filtrage existent pour enlever les PFAS dans l’eau comme par exemple le fait la société Xylem dans les centres de traitement d’eau ou des filtres de la société Zurn Elkay Water Solutions pour équiper des fontaines d’eau ou des centrales de remplissages de bouteilles .
Dépolluer les sites très pollués.
Des solutions assez lourdes existent pour dépolluer ou réduire la pollution des sites comme le présente un document suisse d’analyse sur le sujet ( pages 48- 88)
Nous pouvons les résumer aux options suivantes :
L’immobilisation pour créer une barrière étanche entre le site pollué et le reste de l’environnement pour éviter la mobilité des PFAS vers les nappes phréatiques ou l’environnement immédiat.
L’excavation et immobilisation pour extraire la pollution et l’immobiliser ou la supprimer.
Le lessivage et traitement en lessivant volontairement le site pollué puis récupérer/pomper les eaux dans les nappes adjacentes et les traiter en filtration intensive.
Le lavage des sols en traitant les matériaux par lavage et traitement des résidus de lavage.
Le phyto-assainissement ou la bio-remédiation en utilisant des plantes qui ont la capacité de stocker les PFAS et des micro-organismes pour les dégrader.
Nous pouvons citer l’entreprise Ramo au Québec qui utilise le saule ou l’entreprise belge C-biotech qui combinent les saules et les plants de chanvre.
Les recherches continuent en combinant des structures végétales pour absorber les PFAS et ensuite les dégrader grâce à des champignons .
Les chercheurs travaillent aussi sur les bactéries comme ces études de l’University of Buffalo.
Le fractionnement ou absorption et concentration par des mousses ou de l’ozone ou des filtres pour permettre d’isoler et récupérer les PFAS.
Des recherches continuent et des travaux récents de l’University of British Columbia ont permis de mettre au point des méthodes encore plus efficaces.
Des startups sont mobilisés, comme la société suisse Oxyle ou la société américaine Aquagga ou la société suédoise Chromafora, pour mettre au point des parois, des membranes et filtres innovants pour être plus efficaces pour supprimer >99% des PFAS.
L’incinération à hautes températures dans les usines d’incinérations pour déchets spéciaux.
Les cimenteries afin d’utiliser des déchets incluant des PFAS qui seront amenés à être détruits par la haute température dans le processus normal de production du ciment.
En conclusion, nous pouvons retenir quelques enseignements :
Les molécules PFAS sont présentes partout dans notre environnement et restent très largement utilisées dans la vie quotidienne, les processus industriels et l’économie.
Nous savons maintenant que certaines de ces molécules ont des effets nocifs sur la santé. Des travaux épidémiologiques sont encore à mener pour mieux comprendre les effets de nombreuses de ces molécules.
La mobilisation des autorités et industriels est réelle pour arrêter d’utiliser ces molécules en utilisant des produits de remplacement ainsi que conduire des chantiers de dépollution.
Ces efforts vont demander des efforts considérables et beaucoup de temps. Il y a toutefois des nouvelles encourageantes avec la mobilisation de la recherche et des startup sur le créneau . Ces efforts doivent permettre d’améliorer, d’accélérer et de faciliter les efforts.
Nous savons que la chimie moderne a permis, à l’instar des PFAS, de mettre au point des produits très performants. Les conséquences sanitaires et sur l’environnement de l’utilisation de molécules de synthèse non naturelles commencent juste à être comprises et les solutions de remplacement et de dépollution sont encore balbutiantes. Nous continuerons a suivre dans nos articles futurs ces efforts très important pour la bonne santé humaine et biologique de la planète.
Bonne semaine
Philippe
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