Temps orageux sur le marché européen des véhicules électriques...
The Nature Letter on Sunday #010 + point sur la mobilité décarbonée
Les nuages se sont amoncelés ces dernières semaines sur le marché des véhicules électriques (VE) en Europe :
Les derniers chiffres des ventes de VE en Europe publiés par l’association des constructeurs européens (Acea) font apparaitre une trajectoire descendante :
La part de marché des VE sur le total des ventes était de 14.4% en Août 2024 comparée à 21% en Août 2023.
les trois principaux marchés de la région ont subi des reculs à deux chiffres sur les ventes en valeur absolue en comparaison de l’année précédente (Allemagne - 27.8% , France -24.3%, Italie -13.4%).
Les constructeurs tirent la sonnette d’alarme sur les conséquences de l’application des nouvelles normes européennes sur les émissions :
L’Union Européenne doit en effet durcir en 2025 la norme CAFE ( Corporate Average Fuel Economy) qui fixe le seuil moyen à ne pas franchir pour les émissions de CO2 des constructeurs. Le nouveau seuil est fixé à une moyenne de 95 grammes de CO2 par véhicule. Ce niveau est en fait inférieur à celui qui est émis par une voiture hybride et représente donc un défi pour les constructeurs.
Les constructeurs considèrent que, dans l’état actuel de la demande et de l’offre de véhicules, cette norme pourrait les contraindre à payer jusqu’a 15 milliards d’Euros d’amendes ou de devoir renoncer à la production de plus de 2.5 millions de véhicules à combustion.
A ce stade les constructeurs demandent un délai supplémentaire de deux ans et demandent aux pouvoirs publics des efforts d’aide pour :
Accélérer le déploiement d’infrastructures de recharge.
Ne pas abandonner les incitations fiscales à l’achat de VE.
Favoriser l’approvisionnement en matières premières, batteries et hydrogène.
Constatant le ralentissement du marché, les constructeurs européens ont annoncé ces derniers mois une réduction de leurs ambitions sur le marché des VE :
Volkswagen a relancé fortement sa gamme hybride et réduit ses ambitions sur le pur VE considérant que la demande en véhicules hybrides est meilleure que sur le tout électrique.
Volvo a abandonné son ambition de vendre 100% de VE en 2030.
Le conseil européen doit voter cette semaine sur la mise en place de taxes douanières sévères (45%) contre les constructeurs chinois (tout particulièrement SAIC, BYD, Geely) dont la production commence à envahir les marchés européens :
La production chinoise est soutenue par des subventions de l’état chinois et est stimulée par les effets d’échelle de son marché gigantesque.
Les modèles équivalents chinois proposent en effet des différences de prix importantes, par exemple la Dolphin de BYD est listée à 7000 euros de moins que la ID3 de Volkswagen.
Si l’on prend les chiffres de 2023, on voit que Tesla l’américain ( 1.8 millions de véhicules) et BYD le chinois ( 1.6 millions de véhicules) ont vendu à eux seuls plus que tous les constructeurs européens combinés (Volkswagen 739 mille , BMW 376 mille, Stellantis 350 mille, Mercedes 222 mille, Renault 146 mille).
Bien entendu, cette taxe douanière, si elle est mise en place, pourrait déclencher des représailles commerciales de la Chine pénalisant les exportations européennes.
Revenons donc sur les raisons de ce ralentissement des ventes de VE en Europe.
Nous voyons quelques éléments clefs:
Tout d’abord La composante prix
C’est probablement le facteur le plus important expliquant les difficultés actuelles.
Le marché est passé par une première phase très réussie de pénétration des VE voyant essentiellement les classes aisées avec fort pouvoir d’achat s’équiper avec un véhicule destiné à leurs trajets de proximité.
Le marché a été par ailleurs “boosté” par la mise en place de subventions publiques généreuses.
Le défi est maintenant de conquérir le marché des classes moyennes dans un contexte très compliqué :
les VE restent 25 à 30% plus chers que les véhicules à combustion.
Les états ont commencé à réduire significativement les subventions aux VE :
La France a réduit son bonus de 5000 euros à 4000 euros et arrêté pour l’instant son programme de leasing social (100 euros par mois).
Les bonus ont été rabotés aussi en Allemagne et Italie.
Ensuite les interrogations perdurent sur la question de l’autonomie des VE et de la disponibilité des infrastructures de chargement :
L’impossibilité de faire un long trajet ( 400 km ou plus) sans devoir recharger la batterie inquiète toujours.
D’autant plus que la disponibilité et le maillage de stations de chargement reste insuffisant et la diffusion d’images de files d’attente aux stations de chargement ont produit une certaine anxiété pour les candidats à l’achat de VE.
Voyons maintenant comment les producteurs automobiles et les acteurs du marché réagissent à ces difficultés. Et pourquoi nous restons optimistes à moyen terme sur la diffusion des VE.
Tout d’abord, il est important de rappeler que la conviction de devoir abandonner la production de véhicules à combustion fossile continue de progresser dans la société, chez les acteurs du marché et les pouvoirs publics.
Nous pouvons noter ainsi que l’objectif de l’Union Européenne de proscrire les ventes de véhicules à combustible fossile à partir de 2035 a été confirmé tout récemment par Ursula Von Der Leyen lors de l’installation de sa nouvelle commission européenne.
Il n’y a donc pas de doute sur le fait que les VE vont gagner la bataille sur le long terme mais la question est de savoir quelle sera la cinétique de cette transition.
Reprenons donc les actions en cours pour permettre de continuer la progression du marché :
Tout d’abord la composante prix :
La plupart des acteurs du marché automobile sont mobilisés pour mettre sur le marche des modèles à coût plus raisonnable autour de 25000 euros. C’est notamment le cas de Renault, Stellantis, Fiat et Volkswagen.
On constate un surplus de stock de production de batteries en Chine. Celui-ci est le produit d’investissements massifs depuis des années dans des méga-usines combinés à un approvisionnement massif en matières premières (notamment en Lithium, Nickel, Graphite). Ce surplus pourrait conduire pour un certain temps à des réductions importantes des prix des batteries que les chinois fournissent aux constructeurs européens.
Ce surplus, combiné au ralentissement de la croissance du marché des VE en Europe, a malheureusement l’effet collatéral pervers de décourager à court terme l’investissement néanmoins critique dans des usines européennes de batteries.
Le producteur ACC , co-entreprise de Stellantis, Mercedes et TotalEnergie, a par exemple décidé cette année d’interrompre des projets d’usines nouvelles en Allemagne et Italie.
la startup suédoise Northvolt a annoncé au début du mois la réduction de ses plans de développement et des licenciements.
Le caractère stratégique de la production de batteries semble toutefois heureusement bien compris en Europe. Il est probable que ce cout d’arrêt est temporaire et que les investissements vont reprendre ou continuer comme le mega-projet de la startup Vektor à Dunkerque (investissement de deux milliards d’euros) bien soutenu par les pouvoirs publics.
Les producteurs européens de VE regardent ensemble comment collaborer pour créer des effets d’échelle. Ils discutent notamment de :
Combiner leur force de recherche et de développement.
Créer d’éventuelles nouvelles co-entreprises dans les batteries.
Lancer potentiellement des modèles communs.
Le CEO de Renault Luca de Meo va même jusqu’à proposer de créer un “airbus of Autos” pour contrer la menace chinoise.
Ensuite la composante d’innovation technologique :
C’est le facteur le plus important car nous voyons une forte accélération de l’innovation en matière de batteries.
La technologie évolue très vite :
L’arrivée des batteries Lithium-Iron-Phosphate ( LFP) qui coutent moins chères et semblent plus sures commencent à prendre la relève des batteries Nickel-Cobalt-manganese (NCM) notamment de la part des deux premiers producteurs mondiaux de VE (Tesla et BYD).
La recherche et le développement des batteries solides (Céramique et Polymères) s’accélèrent très vite car elles devraient permettre de proposer des batteries permettant une autonomie jusqu’à 600 miles ce qui changera complètement la donne sur la demande en EV. De nombreux projets sont en cours par exemple Blue Solutions du groupe Bolloré en France ou Factorial energy, Quantum Scape et Solid Power aux Etats-Unis.
il y a un foisonnement de start ups et de projets de recherche pour continuer a améliorer la technologie des batteries, leur durabilité et leur recyclage. Ceci devrait déboucher sur des améliorations encore considérables dans les années qui viennent. Nous aborderons avec plus de détails cette composante d’innovation sur les batteries dans un article futur sur le sujet.
La technologie de l’hydrogène continue de se développer à bas bruit mais nous pouvons noter l’annonce ces dernières semaines de la coopération de BMW et Toyota pour lancer des véhicules à hydrogène dès 2028.
Nous restons donc à ce stade optimistes sur le fait que le freinage significatif du marche des VE constaté cette année en Europe ne devrait pas menacer la transition fondamentale vers une mobilité décarbonée au début de la prochaine décennie.
Bonne semaine
Philippe
https://o2nature.substack.com