Pouvons nous croire en une baisse prochaine de la demande en hydrocarbures ?
The Nature Letter on Sunday #030 - Le pétrole "structure" notre monde économique et géopolitique depuis le 20ème siècle, les efforts sur la transition climatique peuvent-ils changer la donne ?
Le “pic pétrolier” - ce moment de bascule où la consommation reculerait après avoir culminée grâce aux efforts de transition climatique et aux changements des utilisations énergétiques - a été annoncé déjà plusieurs fois sans que jamais il ne se produise.
Les émissions de CO2 dont l’origine sont les hydrocarbures ont d’ailleurs continué d’augmenter en 2024 malgré les efforts faits sur la transition climatique. Ils représentent le premier poste des émissions fossiles (avant le charbon et le ciment) avec 55% du total et qui peuvent être estimées autour de 20 gigatonnes de CO2.
La consommation de pétrole a continué de s’accroitre en 2024. C’est désormais plus de 100 millions de barils de pétrole brut qui sont consommés par jour (103 millions en 2023) en augmentation de 3% par rapport à 2022.
Le pétrole est l’objet de toutes les attentions depuis la deuxième guerre mondiale à travers les différents chocs pétroliers (Choc de 1973 suite à la guerre du Kippour, Choc de 1979 suite à la révolution iranienne, Choc spéculatif de 2008, choc de 2021-2022 post covid et volatilité suite à la guerre en Ukraine).
Le contexte géopolitique du moment semble nous indiquer que les hydrocarbures restent un enjeu énergétique, économique et stratégique. En effet, la nouvelle présidence américaine a pris depuis le 20 janvier des décisions pour prioriser les combustibles fossiles (voir notre article sur le sujet) . Nous savons que les sanctions sur les combustibles fossiles contre la Russie sont aussi l’objet de toutes les attentions et font l’objet d’efforts intenses de nombreux acteurs pour leur contournement et permettre l’exportation de ces produits fossiles de la Russie vers de nombreux pays dans le monde. L’exportation des hydrocarbures est la principale ressource permettant à la Russie d’intensifier son économie de guerre.
Alors est il illusoire d’imaginer qu’un “pic pétrolier” puisse se produire bientôt ?
Il nous semble donc important d’analyser plus précisément les causes de la croissance continue de la demande en pétrole ainsi que les solutions mises en oeuvre pour réduire cette demande. Nous pourrons ainsi mieux évaluer à quel horizon nous pourrions espérer ce «pic pétrolier» et les priorités pour l’atteindre.
Quels sont les évolutions actuelles de la demande en hydrocarbures ?
Sur le plan géographique :
Nous constatons une baisse en Europe et une stabilité en Amérique du Nord notamment grâce aux efforts de transition en matière de transports (électrification des véhicules) et d’électrification et économie d’énergie dans l’habitat (isolation des habitations, chauffages électriques, pompes à chaleur).
Nous devons en revanche noter une hausse dans les pays émergents et tout particulièrement en Inde et l’Afrique liée à la croissance économique, l’industrialisation, et l’amélioration de la prospérité de ces pays.
Sur le plan des modes d’utilisation du pétrole :
Le mix actuel montre :
L’importance de trois secteurs clefs représentant les 3/4 de la demande :
Les transports avec 49% de la demande.
La pétrochimie avec 16%.
L’industrie avec 11% .
Les autres secteurs se répartissent les 25% restants :
L’habitat, le commerce et l’agriculture avec 8.5 %.
L’aviation à 8%.
Les navires à 3.3 %.
La génération électrique à 2.4%.
Le rail et la navigation fluviale à 1.5%.
Les tendances globales les plus importantes montrent :
Un ralentissement voir une tendance à une réduction de la consommation pour le transport, la génération électrique et l’habitat.
Une augmentation continue pour la pétrochimie notamment pour les plastiques et les textiles, ainsi que l’aviation.
Comment pouvons nous anticiper le niveau de la demande en pétrole à l’horizon 2030 ou 2040 ?
Nous avons pu analyser ci-joints les rapports de référence sur le sujet et notamment ceux des compagnies pétrolières British Petroleum( voir BP oil outlook ), Total (voir Total enery outlook ) , L’Agence Internationale pour l’Energie (IEA Oil outlook) , et la société de négoce internationale Vitol (Vitol oil long term Outlook) :
Ils sont d’accord sur les grandes tendances mais leur avis différent significativement sur l’horizon du «pic pétrolier».
Ils prévoient ce «pic» pour certains en 2030, certains en 2035 et d’autres au mieux en 2040 !
Les plus pessimistes envisagent en effet les facteurs suivants conduisant à un consommation toujours aussi élevée en 2040 :
Ils s’accordent tout d’abord sur la direction positive prise sur le plan des transports :
Alors même que 49% du brut est transformé aujourd’hui en carburant pour le transport routier, cette part va décroitre à 40% en 2040 grâce à la transition vers une mobilité électrique alors même que la taille du parc automobile aura explosé tout particulièrement dans les pays en développement (2 milliards de véhicules contre 1.4 milliards aujourd’hui).
En Chine l’adoption massive des véhicules électriques a déjà engendré une baisse de la demande en essence, là où pour les Etats-Unis il faudra patienter jusqu’à la fin de la décennie.
En revanche, ils confirment leur point de vue que les autres produits pétroliers vont continuer malheureusement à croitre :
La demande en plastiques et en GPL ( Gaz de pétrole liquéfié) comme combustible de chauffage, de cuisson et dans la pétrochimie vont augmenter surtout en Afrique et en Asie.
Les plastiques recyclés ne représenteront encore que 14% du total en 2040 et la présence des bioplastiques restera symbolique.
L’utilisation de combustible alternatifs (Sustainable aviation fuel SAF) suivra une courbe d’adoption très lente et la consommation de l’aviation augmentera sa part dans le total à 10%.
Que doit-on faire pour gagner cette bataille de la réduction de la consommation d’hydrocarbures ?
Les batailles à mener sont nombreuses pour gagner la bataille de la réduction de la dépendance aux hydrocarbures.
Ces batailles valent la peine d’être menées considérant :
L’importance clef de la maîtrise des hydrocarbures dans la réduction des émissions et la transition climatique.
La nécessité de tout faire pour réduire l’effet de levier que certaines autocraties autoritaires utilisent pour assoir leur puissance et leur agressivité grâce aux hydrocarbures (Russie, Iran).
Tenant compte des facteurs clefs d’évolution de la consommation des hydrocarbures, nous voyons les priorités et les actions suivantes afin de réduire le délai pour atteindre le «pic pétrolier« :
Tout faire pour «accélérer » la mobilité électrique :
Le “momentum” de la transition vers l’électrique est bon en Chine mais de nombreux pays, notamment en Europe, ont ralenti récemment sur la croissance de la transition vers les véhicules électriques (VE) (voir notre article sur les enjeux du marché des VE).
Le renforcement des investissements dans la production et l’innovation pour les batteries, le déploiement des stations de recharge, et les bonus aux VE sont des mesures qui ont un impact fort sur la courbe d’adoption et qui doivent donc être encouragées.
«S’attaquer» résolument aux plastiques :
La maitrise de la consommation de plastiques est en enjeu majeur pour la transition climatique et la réduction des émissions, la réduction des hydrocarbures et la santé publique.
Nous avons décrit cet enjeu dans plusieurs de nos articles (Pourra t’on éliminer le plastique?, recycler ou réutiliser , Comment s’attaquer à la pollution plastique par les textiles ?).
La réduction de l’usage des plastiques (textiles et vie quotidienne), le recyclage, et l’adoption des bioplastiques sont les trois vecteurs qui permettront de stabiliser la production de plastiques.
Cette bataille nécessaire est difficile car les modèles économiques et d‘adoption sont pour l’instant laborieux. Les efforts des pouvoirs publics et de la gouvernance mondiale doivent se mobiliser sur ce chantier. (Les acteurs internationaux se réuniront en Août à Genève pour un nouveau cycle de pourparlers sur le Traité Mondial sur les Plastiques)
Accepter le Gaz naturel Liquéfié (GNL) “vert” et le développement de l’hydrogène «vert» comme outil de transition pour la sortie du pétrole et du charbon.
Le développement des énergies renouvelables associées à l’électrolyse de l’eau pour produire de l’hydrogène ou du gaz liquéfié («Power to Gaz») est essentiel afin de sortir du charbon et du pétrole pour la production d’électricité et l’industrie.
Ce gaz «vert» permet aussi d’utiliser directement les infrastructures déjà existantes pour le gaz naturel liquéfie d’origine fossile ce qui facilite ainsi son adoption.
Le GNL «vert» est loin d’être parfait sur le plan environnemental notamment du fait de fuites de méthane dans son cycle de liquéfaction, de transport et de distribution (les émissions de méthane sont très pénalisantes sur le réchauffement climatique comme nous l’avons vu dans un article sur le sujet ) mais il permet la réduction de la production d’émissions et la consommation d’hydrocarbures.
Les techniques pour contrôler les fuites de méthane dans le cycle de production, de transport et de distribution du GNL se développent et permettront de réduire les inconvénients de cette énergie.
Aider et investir dans la conversion énergétique des zones à forte croissance (Inde, Afrique) :
Nous avons vu que ces régions sont celles qui continueront à consommer plus d’hydrocarbures dans les années prochaines du fait de leur croissance économique et démographique.
Accélérer des investissements dans ces pays est important stratégiquement compte tenu de leur potentiel économique et leur empreinte croissante sur le changement climatique.
Ces investissements peuvent se concentrer sur des opportunités intéressantes comme par exemple :
Le solaire couplé à la production d’hydrogène vert et de gaz «vert».
Le recyclage des textiles et plastiques car ces pays concentrent de plus en plus de plastiques et textiles usagers.
« S’attaquer» au problème du transport aérien :
Tous les experts anticipent une explosion de croissance du traffic aérien s’accompagnant mécaniquement d’une forte augmentation de l’utilisation du kérosène alors que le taux d’utilisation des carburants alternatifs ( sustainable aviation fuel) reste faible.
Il est urgent que les gouvernements permettent de « taxer »/ »subventionner » le kérosène/Les SAFs ainsi que la réglementation imposant graduellement un pourcentage minimum de SAF pour les compagnies aériennes. Ceci permettra d’encourager les investissements en production de SAF.
Nous venons donc de confirmer que le «pic pétrolier» qui était envisagé initialement pour 2030 est encore incertain et pourrait nécessiter au moins une décennie supplémentaire .
Garantir l’avènement au plus vite de ce «pic pétrolier» est essentiel à la maitrise de la transition climatique et la réduction des tensions géopolitiques.
Les priorités pour atteindre cet objectif sont clairement identifiées et les résultats de ces actions dépendront des volontés et des engagements de la sphère publique et privée. Nous continuerons à suivre dans nos articles futurs les progrès faits dans ces domaines vitaux pour notre futur.
Bonne semaine
Philippe
https://o2nature.substack.com