Pourquoi devons nous développer les réserves naturelles ?
The Nature Letter on Sunday #042 - la 7ème limite de santé planétaire est dépassée, mobilisons nous plus fortement pour «soigner» et «conserver» notre planète en multipliant les réserves naturelles
La 7ème « limite de la santé planétaire » a été dépassée selon les derniers résultats scientifiques publiés par le Postdam Institute For Climate Impact Research.
C’est un signal clair d’une augmentation du niveau de stress et de destruction des équilibres vitaux de notre planète.
Après le climat, la biodiversité, le cycle de l’eau ou encore la pollution chimique, l’acidification des océans est désormais donc la 7ème limite en zone rouge. Et ce n’est pas une surprise : c’est ce qu’indiquait déjà une étude publiée au mois de juin cette année et que nous pressentions dans notre article sur le sujet il y a déjà une année («L’acidification des océans est la prochaine limite planétaire qui va bientôt être franchie«).
Celle limite franchie sur la santé de nos océans est un nouveau signal d’alarme car nous connaissons le rôle fondamental des zones océaniques et nous l’avions récemment souligné dans un article sur l’importance des éco-systèmes marins.
Il est donc temps de revenir sur ce que sont les «limites planétaires», les détails des constats faits dans la dernière étude du Postdam Institute et comprendre comment nous devons nous mobiliser pour « soigner » notre planète.
Rappelons ce que sont les fameuses «limites planétaires » et les «global tipping points» ?
Ces limites ont été développées par une équipe de spécialistes des sciences environnementales à l’université de Stockholm menée par Johan Rockström.
Le concept des limites planétaires définit un espace de développement durable et sécurisé pour l’humanité à travers un seuil critique sur chacune de ces limites.
Ces limites reposent sur 9 processus biophysiques qui sont l’objet de mesures régulières :
Le changement climatique avec deux sous-mesures :
Le taux de CO2 atmosphérique.
Le « radiative forcing » qui mesure la balance d’énergie entrante et sortante de l’atmosphère.
L’érosion de la biodiversité avec deux sous-mesures :
L’érosion fonctionnelle qui correspond à la mesure de l’abondance des espèces dans un écosystème par rapport à leur abondance lors de l’ère préindustrielle.
L’érosion génétique qui correspond à la mesure du taux d’extinction des espèces.
La perturbation des cycles bio-géochimiques de l’azote et du phosphore.
Les changements d’utilisation des sols.
L’acidification des océans.
L’utilisation mondiale de l’eau avec deux sous-mesures :
L’eau douce («Green»)
L’eau de mer («Blue»)
L’appauvrissement de l’ozone stratosphérique.
L’augmentation des aérosols dans l’atmosphère.
L’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère (notamment les produits chimiques, les pesticides, les déchets nucléaires, les plastiques ou les médicaments).
Ces phénomènes impactent l’équilibre terrestre. Les limites planétaires sont franchies lorsque certains seuils sont dépassés. L’environnement pourrait alors selon cette théorie basculer de façon drastique et irréversible et s’accompagner d’ »effets dominos».
J’ai présenté ces effets dominos possibles dans un article sur ces «points de bascule (tipping points)» tels qu’ils ont été analysés par les scientifiques de l’université d’Exeter :
Sur la cryosphère :
Calotte glaciaires antarctique et arctique.
Glaciers et permafrost.
Sur la biosphère :
Dépérissement de la forêt.
Dégradation des savanes.
Désertification des zones arides.
Eutrophisation des lacs.
Dégradation des milieux coralliens.
Affaiblissement des zones de pêches.
Dégradation des mangroves.
Dégradations des forêts primaires, particulièrement l’Amazonie et les forêts boréales.
Quels sont donc les enseignements du dernier rapport sur la santé planétaire ?
Nous avons examiné le tout dernier rapport scientifique (limites planétaires 2025) qui donne les résultats pour l’année 2025 sur les neufs limites que l’on a décrit au début de cet article.
Nous pouvons voir les résultats sur le schéma synoptique ci-dessous avec les mesures prises sur chaque axe horizontal :
Nous voyons donc que la grand majorité des indicateurs sont en évolution négative passant du vert au jaune, orange, rouge et violet). Nous voyons ainsi en effet que l’acidification de l’océan est entrée en zone jaune de risque.
L’océan nous rend de nombreux services vitaux. Parmi eux, celui d’absorber 1/4 du CO2 que nous émettons dans l’atmosphère. Mais cela a un coût : plus l’océan absorbe de dioxyde de carbone, plus il devient acide avec de nombreuses conséquences sur son fonctionnement.
L’acidification est un phénomène directement conséquent au réchauffement climatique. Il est en effet lié à l’absorption de plus de CO2 par les océans entraînant une baisse du ph de l’eau :
L’eau devient progressivement nocive pour de nombreux organismes comme par exemple les récifs coralliens, les mollusques et les crustacés avec la détérioration des coquilles. Petit à petit, l’ensemble de la chaîne alimentaire marine peut être donc touchée.
L’eau plus acide perd son efficacité dans son rôle de capture de CO2 et donc de ce fait réduit d’autant sa capacité à compenser le réchauffement climatique.
La chimie de l’océan a un impact important sur la vie marine. Plus le pH est bas, plus il est difficile pour les espèces de synthétiser leur coquille ou leur squelette calcaire car le calcaire est dissous par l’acide.
L’acidification altère et diminue la croissance des coquilles ou des squelettes des crustacés et des mollusques comme les oursins, les moules, les huitres ou les homards. Elle a le même effet sur les coraux, déjà fragilisés par l’augmentation de la température de l’eau. Mais surtout, elle affecte une partie du plancton, qui est à la base de la chaine alimentaire marine, avec un impact en cascade sur toute la vie aquatique. Ce phénomène s’additionne à la surpêche et aux canicules marines.
Au rythme actuel, l’acidité des océans pourrait plus que doubler d’ici à 2050, et peut-être même tripler à l’horizon 2100. Ce phénomène est irréversible sur plusieurs centaines d’années.
L’investissement dans les réserves naturelles peut-il avoir un impact positif ?
La préservation de notre planète passe par plusieurs actions :
Sur le plan fondamental, la véritable solution qui vient à l’esprit est d’accélérer en effet la sobriété et la transition climatique :
Il est en effet urgent d’appuyer sur la pédale de frein. Pour respecter les limites planétaires, il est nécessaire de réduire les pressions humaines sur le système Terre. Ce sont ces pressions qui poussent les indicateurs de la planète dans le rouge.
Autrement dit, il s’agit de réduire notre consommation d’eau, d’énergie, de matériaux et de terres agricoles. C’est la définition de la sobriété selon le GIEC. C’est le principal levier d’action, celui sans lequel rien n’est possible. Imaginez : selon le GIEC, nous pourrions baisser nos émissions jusqu’à 70% d’ici 2050 rien qu’avec la sobriété. Et cela sans réduction du bien-être humain.
En revanche est-ce réaliste de penser que la sobriété soit réellement la seule et la bonne solution ?
Nos économies et nos modes de croissance sont systématiquement orientées vers l’augmentation de cette pression.
La croissance économique est fondée sur l’augmentation de la production et de la valeur ajoutée.
La croissance et la transition pourront dans l’avenir être découplées (voir mon article: « comment concilier croissance et climat ») mais cela prendra beaucoup de temps.
Les nouvelles technologies comme l’IA augmentent inexorablement la consommation électrique et la consommation en eau.
Alors réfléchissons à une approche des «petits pas» permettant de « travailler de manière différentiée et concentrée sur la création et l’élargissement d’une multitude de zones protégées réparties sur toute la planète :
Il s’agit d’une approche, qui est déjà en cours de déploiement via les parc naturels et qui doit donc être intensifiée.
Il faut donc mettre en place la protection et la conservation du plus grand nombrer de zones locales saines ou la restauration d’autant de zones «malades» de la planète pour les restaurer :
C’est par exemple les initiatives conduisant au reboisement et la restauration des zones arides qui sont promus dans le cadre des convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification.
Nous pouvons saluer les initiatives de la grande muraille verte (Afrique Sahélienne) et des engagements de restauration des terres (Déclaration de Bonn, Agenda 2030).
Ce sont aussi les initiatives prises dans le cadre de la mise en place des zones océaniques protégées de 30% des espaces marins (voir mon article sur la COP 16).
Cela intègre aussi :
La protection des zones forestières essentielles comme l’Amazonie et la progression des projets pour recréer ou développer des zones de forêts primaires notamment en Europe.
La solidification et la multiplication de parcs nationaux et régionaux pour sanctuariser des espaces naturels sans pollution et riches en biodiversité.
Nous pouvons progressivement augmenter ces zones protégées en les multipliant sur toute la planète et en les élargissant de manière concentrique :
En installant ce type de zones là ou aujourd’hui il n’y en a pas ou trop peu (Asie, Afrique, Amérique centrale et du sud).
En installant au cœur même des centres industriels ou urbains des zones de protection (par exemple les « poumons verts » dans les villes).
En élargissant les réserves existantes en cercles concentriques.
L’ensemble de ces efforts doivent se conjuguer avec des actions en matière d’éducation sur la protection de la planète, des campagnes de communication et le développement de l’éco-tourisme dans ces réserves pour permettre la prise de conscience du public et des acteurs publics et privés et les encourager à prendre des actions dans leur propres décisions de consommation, de production et d’investissements.
En conclusion, nous retenons donc que les rapports scientifiques démontrent que l’état de santé de la planète continuent de se dégrader. Il est nécessaire de repenser notre approche :
L’approche générale d’aller vers des modes de consommation et de production sobres ne permettra pas de répondre substantiellement à l’enjeu de dégradation de la planète.
Il faut en revanche multiplier les actions concrètes sous la forme de «petits pas» et généraliser les initiatives publiques/locales visant à protéger/restaurer/conserver les espaces naturels partout sur la planète.
Il est aussi nécessaire d’intensifier les efforts d’éducation et de communication pour développer la prise de conscience sur la nécessité de «soigner» la planète en garantissant l’existence d’un nombre suffisant de zones protégés et atteindre une «masse critique» de zones respectant la nature.
Nous suivrons l’évolution de l’adoption de ces plans publics et privés visant à la sauvegarde de notre planète et nous vous rendrons compte dans de prochains articles.
Bonne semaine
Philippe
Https//o2nature.substack.com



