Les minéraux "critiques" sont-ils "l'angle mort" de la transition climatique?
The Nature Letter on Sunday #029 - Comment peut-on éviter que la course aux métaux nécessaires à la transition finisse par déstabiliser la planète ?
Les minéraux dits “critiques” sont essentiels pour la transition climatique comme le souligne le rapport de synthèse publié par l’International Energy Agency (IAE).
Ces minéraux font l’objet de convoitises et de compétitions au niveau mondial et se signalent comme des clefs de nombreux conflits et tensions en cours.
Pour ne citer que quelques exemples récents, Donald Trump a “en vue” les gisements ukrainiens dans le cadre de la résolution de la guerre en cours avec la Russie. Il s’intéresse aussi aux ressources en minéraux “critiques” supposés du Groenland. La province du Nord-Kivu au Congo est le siège d’une guerre qui fait rage et dont un des objet est le controle des zones minières qui regorgent de ces minéraux.
Ces tensions et convoitises illustrent le fait que :
La demande sur ces minéraux explose littéralement car ils sont largement utilisés dans les technologies de la transition climatique mais aussi les nouvelles technologies électroniques et numériques.
La production et le raffinage de ces minéraux sont très concentrés sur certains pays et notamment la Chine. Cette concentration et dépendance inquiètent et peuvent se révéler problématiques comme nous l’avons vu lors de l’épidémie du covid, dans le contexte de l’attitude de la Chine prête à faire levier sur sa position en mettant en place des contrôles croissants aux exportations sur ces minéraux et parfois envisager même des menaces de suspension de fournitures en cas de tensions géopolitiques,
L’impact environnemental négatif de l’exploitation de ces minéraux, lié aux émissions minières et pollutions associées, est généralement ignoré ou sous-estimé dans le bilan de la transition climatique alors que celui-ci est significatif et surtout en croissance exponentielle. Pour imaginer cet impact, il faut rappeler qu’un véhicule électrique contient plus de 200 kilos de minéraux, notamment du graphite, du cuivre, du cobalt, du nickel, des terres rares, du lithium et du manganèse.
Nous allons analyser dans cet article ce que sont ces minéraux et leurs usages dans les industries de la transition climatique, les enjeux et les défis associés et enfin identifier des voies d’amélioration pour le futur.
Quels sont les usages des minéraux critiques dans la transition climatique ?
Au sein du tableau des éléments chimiques de Mendeleïev qui contient 118 éléments, une cinquantaine de minéraux pourraient être considérés comme essentiels compte tenu de leurs propriétés particulières et leurs usages essentiels.
L’Union Européenne considère 27 minéraux vraiment “critiques”. Nous pouvons identifier ceux qui sont les plus importants pour les usages clefs de la transition climatique :
Le lithium, le graphite, le cobalt, le nickel et le manganèse :
Dans les batteries de véhicules électriques.
Le silicium et l’étain :
Dans les véhicules électriques et les réseaux électriques.
Les “terres rares” (par exemple le néodyme et le dysprosium) :
Dans les aimants pour les turbines éoliennes et les véhicules électriques.
Le cuivre et l’aluminium :
Pour les réseaux électriques, les fermes éoliennes et les véhicules électriques.
Le selenium, le gallium, le germanium :
Dans les panneaux solaires, les véhicules électriques.
Quels sont les défis et les risques associés à ces minéraux ?
Les défis et les risques sont très importants :
Des risques élevés d’approvisionnement et de pénurie.
Une forte croissance anticipée de la demande en lien avec la transition climatique :
Entre 2017 et 2022, la consommation mondiale de lithium a plus que triplé, celle du cobalt a augmenté de 70% tandis que celle du nickel a progressé de 40%.
Rien qu’en 2023, la demande mondiale a augmenté de 30% pour le lithium, 8% à 15% pour le nickel, cobalt, graphite et les terres rares.
Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, les estimations sont vertigineuses avec 35 fois plus de lithium qu’aujourd’hui, 26 fois plus de « terres rares », deux fois plus de nickel, trois fois plus de cobalt, 35% de plus de cuivre et d’aluminium et 10-15% supplémentaire de zinc.
Une grande concentration de la production et du raffinage:
La Chine est dominatrice sur le raffinage et contrôle les produits finis
Pour les batteries, la chine raffine environ 67% du cobalt, 62% du lithium , 60% du manganèse et 32% du nickel
Les pays produisant les matières premières de ces minéraux critiques sont aussi concentrés
La république du Congo produit 70% du cobalt mondial qui part en Chine pour y être raffiné.
L’Australie et le Chili produisent 70% du lithium mondial et il part aussi en chine pour y être traité.
On peut noter aussi l’Indonésie qui joue un rôle important en produisant 50% du nickel mondial.
Une croissance des émissions et de la pollution des activités minières et de traitements de ces minéraux :
L’extraction de minéraux est associée à différents problèmes environnementaux, tels que la pollution de l’air, la contamination locale par des produits chimiques toxiques (métaux lourds), la dégradation du paysage, la perte de biodiversité et la production de déchets.
L’extraction, le concassage et le transport en camion du minerai requièrent en effet de grandes surfaces, beaucoup d’énergie et génèrent de fortes émissions, et les déchets et résidus miniers peuvent contaminer l’eau et le sol, avec des effets négatifs sur la santé des populations concernées.
Le besoin d'augmenter la production va nécessiter la multiplication des explorations minières nouvelles et de nouvelles usines de raffinage avec l’accroissement des conséquences négatives sur l’environnement.
L’impact précis de la pollution et des émissions est difficile à évaluer mais il est certainement très matériel. On peut constater par exemple que la croissance de l’extraction minière en Indonésie se traduit par une forte croissance des émissions de ce pays et des problèmes environnementaux et de santé avérés près des sites miniers et des usines de raffinage.
Le renchérissement des prix et les limites potentielles à la croissance compétitive des industries de transition
Le marché international des minéraux critiques a vu une très forte volatilité des prix :
En 2023 le prix du lithium s’est effondré de 75% après deux années de très fortes hausses.
L’Energy Transition Minéral Price Index de l’IEA (panier constitué des principaux métaux critiques pour la transition) a ainsi triplé dans les deux années suivant janvier 2020 avant de revenir à son niveau initial fin 2023.
Cette baisse des prix, malgré la hausse de la demande est liée à une forte croissance de la production, notamment en Afrique, Indonésie et Chine.
Tous les experts s’accordent à dire qu’indépendamment des prix à court terme, la volatilité des prix est un élément structurel dans le contexte structurel de tensions géopolitiques, de demande qui explose et de concentrations des chaînes d’approvisionnement.
A court terme la réduction des prix a permis la réduction du prix des batteries de 14% en 2023 mais un nouveau triplement des prix des minéraux critiques comme nous l’avons subi en 2021-2022 pourrait renchérir les batteries de 30 à 45%.
Comment faire donc face à ce côté obscur des minéraux critiques de la transition ?
Nous voyons trois grands axes permettant de réduire les inconvénients et les effets pervers de cette utilisation des minéraux «critiques» :
La recherche de nouveaux gisements et la diversification des sources d’approvisionnement :
La situation de pénurie potentielle est maintenant bien comprise par l’ensemble des gouvernements dans le monde.
Cette prise de conscience intervient 20 ans après celle des chinois qui ont investis avant tout le monde sur ce secteur.
Mais, il n’est jamais trop tard et de nombreuses initiatives se sont lancées ces dernières années :
Avec des coalitions ou des partenariats :
C’est l’exemple des Etats-Unis, de l’Australie, et du Canada qui se sont associés pour intensifier les explorations minières et les études géologiques à travers de la critical minerals mapping initiative.
L’Europe se mobilise aussi à travers La directive européenne sur les minéraux critiques. Ce texte fixe :
Des objectifs d’approvisionnement d’ici 2030 (10% doit être extrait en Europe, 40% raffiné en Europe, 25% doit provenir du recyclage).
Des simplifications et soutiens pour les projets stratégiques d’extraction et de raffinage en limitant les délais et modalités d’approbation de ces projets.
Des exigences pour chaque état membre de mettre au point un plan d’exploration et des plans de recyclage, de prévention des déchets et de réutilisation de matières premières secondaires.
Avec des initiatives nationales :
La France a décliné la directive européenne et l’intensifie en délivrant des permis d’exploration par exemple en Alsace et dans le massif central et s’est engagée à réduire par deux les délais d’instruction des permis. Un projet de mine de lithium existe par exemple dans l’Allier par la société minière Imerys et a été reconnu d’ «intérêt national». Ces projets génèrent les critiques des associations environnementales mais ne vaut il pas mieux une mine en France qui pourra être suivie et aura une meilleure chance d’être surveillée sur le plan de l’environnement plutôt que des nouvelles mines à l’étranger ? Enfin, la caisse des dépôts a lancé un fonds de 500 millions euros pour les investissements dans les infrastructures pour les minéraux critiques.
L’Inde vient de lancer le National Critical Minéral Mission qui est un programme de 2 milliards de dollars pour l’extraction minière dans le pays, la sécurité des approvisionnements et le recyclage.
Le recyclage des minéraux et la dépollution minière.
Depuis 2006, l’Union Européenne impose aux constructeurs automobiles de recycler au moins 50% des composants des batteries lithium-ion ce qui permet de réutiliser du cobalt, du nickel, du cuivre, du lithium.
La filière du recyclage peine encore à se développer et s’est d’abord spécialisée sur les batteries de petites tailles (téléphones portables et tablettes) et l’industrialisation de la filière pour les batteries de grosses tailles reste à développer.
L’augmentation des volumes sur le segment des véhicules électriques devraient permettre d’améliorer les processus industriels et la profitabilités qui restent pour l’instant encore trop faible.
Certains projets novateurs commencent a voir le jour comme par exemple le projet de « saft recycling » permettant de produire de nouvelles batteries directement à partir de produits recyclés.
La mise en place de techniques d’extraction minière responsables et durables.
Une mine ou une usine de raffinage de minéraux critiques a forcément un impact négatif sur l’environnement mais celui-ci peut être réduit grâce à des techniques qui s’améliorent :
Les technologies de nettoyage de l’air et de l’eau.
Les technologies d’extraction sélectives utilisant les meilleurs technologies (drones, numérique et intelligence artificielle, capteurs).
Les technologies de traitement des effluents et des déchets.
Les technologies de capture des émissions pour les usines.
L’innovation et la recherche développement pour produire des solutions moins néfastes pour l ‘environnement.
L’utilisation de minéraux moins «critiques» et moins polluants :
Les travaux sont en cours pour utiliser des minéraux différents comme le souffre, le fer, le sodium
Les batteries alternatives au modèle dominant Lithium-ion NMC ( Nickel , manganèse; cobalt) commencent a faire leur apparition :
Les batteries Lithium-Fer-Phosphate (LFP) son en plein essor. Elles contiennent toutefois du lithium mais ne nécessitent plus les autres minéraux du modèle NMC.
Nous pouvons en citer d’autres alternatives comme la technologie de Bolloré Blue Lithium-Métal-Polymere (LMP) et la batterie sodium-ions développée par la start-up Unigrid.
Rappelons aussi que Tesla utilise un modèle Lithium-Titanate (encore le lithium!).
La mise au point de technologies plus économes en minéraux;
C’est le cas du projet de Toyota et NEDO pour la mise au points d’aimants économes en « terres rares ».
L’utilisation de produits synthétiques.
C’est l’exemple du graphite synthétique.
La réduction de la taille des batteries et l’extension de leur durée de vie.
La réduction de la taille des batteries est une voie qui pourra réduire le besoin en minéraux. Cela peut se faire en réduisant la taille des véhicules électriques et surtout en améliorant la performance et la densité des batteries grâce à des innovations technologiques .
Donner une seconde vie aux vieilles batteries permettant d’en étendre la durée d’utilisation est aussi une voie en cours de développement. Une batterie usagée de véhicules électriques peut toujours être utilisée comme accumulateur électrique pour des installations solaires plutôt que d’utiliser des nouveaux accumulateurs neufs. Le recyclage des matériaux reste bien sur possible à la fin du cycle.
Au total les possibilités de réduire la consommation des minéraux critiques et de leurs effets néfastes sur l’environnement pourraient permettre de limiter les dégâts.
L’IEA évalue actuellement le potentiel de réduction entre 15% et 40% par rapport à la trajectoire naturelle selon les scénarios à l’horizon 2040. Ces solutions alternatives vont nécessiter de gros investissements, des efforts d’innovation importants et du temps.
En conclusion, nous pensons que:
La demande galopante en minéraux critiques pour la transition est un véritable problème pour lequel la prise de conscience n’est pas encore suffisante.
Les risques de pénuries, de tensions géopolitiques et d’impacts environnementaux sont avérés et s’accroissent et empirent rapidement.
Les solutions technologiques commencent à apparaître. Des efforts d’innovation et d’investissements importants permettront certainement de trouver des solutions plus efficaces pour atténuer les effets pervers de l’utilisation de ces minéraux.
La mobilisation pour affronter ces problèmes et les résoudre est lancée internationalement par les acteurs étatiques et privés.
Mais celle-ci doit s’accentuer fortement car seuls des efforts considérables pour innover, investir et déployer des alternatives permettront d’avoir un espoir de maîtriser ces problèmes.
Compte tenu de l’importance de ces enjeux, nous continuerons à suivre de près ce dossier des minéraux critiques dans nos futurs articles.
Bonne semaine
Philippe
https://o2nature.substack.com