Les macro-algues marines peuvent-elle vraiment devenir un atout maître dans la transition climatique ?
The Nature Letter on Sunday #033 - Nous faisons le point sur les capacités des macro-algues marines comme solution naturelle pour la transition climatique
Les macro-algues marines sont assez mal connues. Certains les perçoivent comme une source de pollution potentielle avec les proliférations d’algues vertes que nous connaissons régulièrement sur nos côtes. D’autres en vantent les bienfaits naturels comme compléments alimentaires ou produits cosmétiques et paramédicaux. Elles sont en revanche plus rarement considérées comme une solution pour la «transition climatique» alors qu’elles ont les caractéristiques leur permettant de jouer un rôle matériel.
Ces macro-algues sont en effet des organismes biologiques multi-cellulaires capables, grâce à la photosynthèse et l’eau de mer, de transformer le carbone en molécules intéressantes pouvant être valorisées dans de nombreux secteurs comme par exemple l’alimentation, les cosmétiques, la pharmacie, les fertilisants agricoles, les bioplastiques, les bio pesticides.
Leur culture constitue une solution de transition particulièrement remarquable car, contrairement à de nombreuses autres solutions de la transition climatique, elle utilise exclusivement les mécanismes de la Nature et elle fait appel à très peu de processus industriels, miniers et peu d’intrants chimiques, matériels ou d’apports d’énergies.
Leur récolte naturelle et leur culture se développe régulièrement dans le monde depuis une vingtaine d’années. Le marché mondial a triplé au cours des deux dernières décennies atteignant 17 milliards de dollars en 2021. Il est particulièrement concentré en Asie (La Chine et l’Indonésie représentent ainsi 80% de la production mondiale). La production de macro-algues reste néanmoins encore relativement modeste notamment en Europe et en Amérique du Nord.
Nous allons donc rappeler ce que sont les macro-algues, pourquoi et comment elles peuvent représenter une solution pour la transition et enfin comprendre quelles peuvent être les voies d’accélération et d’innovation pour le développement de ces solutions.
Que sont les macro-algues marines et quels sont leurs types les plus connus ?
Les algues marines sont des organismes fascinants et diversifiés, souvent considérés à tort comme de simples plantes maritimes. Les algues marines jouent un rôle vital dans l'écosystème marin, se développant dans les eaux côtières peu profondes et les rivages rocheux.
Les algues marines produisent jusqu'à 50 à 80 % de l'oxygène mondial et absorbent de grandes quantités de dioxyde de carbone. Elles servent de producteurs primaires, formant la base de la chaîne alimentaire pour de nombreux animaux marins. Elles fournissent également un abri et des lieux de reproduction pour diverses créatures, et leur décomposition libère des nutriments essentiels dans la colonne d'eau.
Elles ne sont pas des plantes au sens traditionnel mais appartiennent à un royaume séparé appelé Protista. Cette famille englobe une vaste gamme d'organismes unicellulaires et multicellulaires, et les algues marines occupent une niche unique au sein de ce royaume. Contrairement aux plantes terrestres, les algues marines n'ont pas de racines, de tiges ni de feuilles. Au lieu de cela, elles ont développé des structures spécialisées appelées holdfasts, stipes et blades pour s'ancrer, conduire les nutriments et capter la lumière. Ces structures varient considérablement selon le type d'algue, contribuant à leur incroyable diversité de formes, de tailles et de textures.
Différents types de macro-algues marines appartiennent à divers sous-royaumes Protista :
Rhodophyta (Algues rouges)
Chlorophyta (Algues vertes)
Ochrophyta (Algues brunes)
Cyanophyta (Algues bleu-vert) (parfois considérées comme un royaume séparé)
Les espèces d'algues marines sont incroyablement nombreuses dans le monde. À titre d’exemple, la station biologique de Roscoff en Bretagne inventorie plus de 800 espèces de macro-algues différentes uniquement dans la baie autour de la station.
Quelles sont les applications et les usages pour les macro-algues ?
Les applications potentielles des macro-algues marines sont nombreuses comme le montre le diagramme ci-dessous produit par The Nature Conservancy.
En effet, les macro-algues rendent des services éco-systémiques pour la nature ou dans les fermes aquacoles et permettent aussi de produire énormément de composants utiles dans de nombreux secteurs.
Les algues ont une composition très riche en :
Divers nutriments (vitamines, minéraux (calcium, magnésium, potassium, iode), des oligo-éléments).
Des protéines complètes (contenant tous les acides aminés essentiels).
Des molécules à fort potentiel fonctionnel (Anti-oxydants, Gélifiants et hydratants, Anti-bactériens, Anti-viraux, Anti-cancer, Anti-inflammatoires).
Nous pouvons classer les bienfaits des algues en deux grandes catégories :
Les services éco-systémiques dans la mer ou autour des fermes de production d’algues :
La bioremédiation des déchets et effluents inorganiques ( Nitrates, phosphore etc) près des rivages avec leur filtration par les algues permettant ainsi de les filtrer et d’éviter ou de réduire l’eutrophisation des eaux.
La séquestration du carbone en tombant au fond de la mer.
La co-culture des algues avec des coquillages et des poissons permettent de générer une aquaculture très intéressante où les algues permettent de traiter les effluents des poissons et aussi de séquestrer le carbone généré par la formation des coquilles calcaires.
La production de molécules d’intérêt pour de nombreux secteurs sous forme de produits à l’état naturel ou bio-raffinés :
L’alimentation humaine.
L’alimentation animale.
Les biocarburants.
Les fertilisants biologiques pour l‘agriculture.
Les médicaments.
La cosmétique.
Les bioplastiques.
Les bio pesticides.
Quelles sont les actions qui permettront à l’aquaculture des macro-algues de se développer à la hauteur de leur potentiel ?
Le développement de la production des macro-algues reste en effet encore marginal au regard du potentiel qu’elle représente.
Il y a encore très peu de fermes aquacoles d’algues en Europe et nous pouvons citer l’exemple rare de Algolesko qui exploite une ferme de 350 hectares en Bretagne produisant plus d’une centaine de tonnes d’algues à l’année.
Nous avons identifié des priorités importantes pour permettre le développement de ce secteur :
Une meilleure évaluation de la séquestration du carbone et des autres bénéfices environnementaux des fermes d’algues afin de développer des mécanismes de crédits et bonus :
Les données sont éparses et ne permettent pas d’attribuer des crédits carbone significatifs et suffisants pour motiver les aquaculteurs de développer leur production.
Les crédits attribuables sont en effet pour l’instant de environ 30 dollars par tonnes alors que 350 dollars serait le montant nécessaire pour fournir une vraie motivation.
La recherche sur les mesures des bénéfices carbone liés à la culture d’algues doit donc être développée.
La démarche de reconnaissance et rémunération des cultures d’algues dans les zones côtières potentiellement sujettes à la pollution eutrophique est aussi un axe à développer. Celui-ci doit s’accompagner en parallèle avec le prélèvement de taxes sur les générateurs d’effluents inorganiques (agriculture et élevages intensifs) pour financer ces crédits de bonus environnemental.
Une meilleure compréhension du métabolisme des algues et notamment des phénomènes de concentration en métaux lourds :
Les algues sont des bio-accumulateurs importants concentrant beaucoup de bonnes molécules mais aussi parfois les métaux lourds (cadmium, arsenic par exemple) selon les environnements où les algues se développent.
Le risque de voir des concentrations de métaux lourds potentiellement élevées dans les algues est un frein à son exploitation à grande échelle car les industriels et les autorités de santé sont légitimement très précautionneux sur le sujet des métaux lourds.
Le développement de filières fortes intégrées et de support en recherche développement autour de ces filières.
La production et le modèle économique des algues d’algues est une chaîne de valeur longue allant de la ferme aquacole jusqu’à l’usine de production et la distribution et la commercialisation des produits.
Des centres de support aux filières comme le centre d’études et de valorisation des algues en France ou le seaweedinsights, en Norvège sont des bons exemples d’initiatives permettant d’aider au développement des meilleurs pratiques de culture, les regroupements logistiques et les liens avec les industriels pour solidifier les filières d’algues. Il faudra poursuivre et développer ces initiatives.
L’accroissement des investissements et soutiens publics pour ces filières.
Le potentiel de la filière des algues est reconnu par les pouvoirs publics et identifié dans le plan France 2030. C’est par exemple le cas du projet de Eranova Alguex pour produire des bioplastiques à partir d’algues.
L’Europe a aussi identifié l’importance de pouvoir soutenir ces filières en associant des initiatives nationales publiques et européennes.
La maitrise des pollutions aux algues vertes et la réduction des pollutions aux nitrates côtières
Les pollutions aux algues vertes abiment l’image des macro-algues.
Ces pollutions sont largement liées à des excès de rejets de nitrates de l’agriculture intensive à des doses beaucoup trop élevées .
Il convient donc de bien contrôler les modes de production intensifs de l’agriculture et surveiller les excès de développement d’algues vertes.
Le développement d’un éco-système vigoureux de start ups.
Un volume important de start ups se développent dans le monde et il est bon de voir ces entreprises développer différentes solutions dans le domaine des culture de macro-algues et de leur utilisation
Nous pouvons citer quelques exemples : cascadia (Australia), Sea6energy (India), Kelp Blue( Alaska , New Zealand , Namibie) , Magma ( Normandie), Symbiomer ( Bretagne).
Nous avons pu donc rappeler que les macro-algues ont un potentiel exceptionnel pour nous aider dans la transition climatique. Elles doivent néanmoins bénéficier de soutiens et d’efforts en matière de recherche, d’investissement et de coordination entre tous les acteurs afin de pouvoir surmonter les obstacles et les freins qui limitent encore actuellement leur développement. La production de macro-algues pourrait avoir un impact significatif compte tenu du potentiel énorme de culture sur l’ensemble des rivages du monde. Nous continuerons à suivre les progrès des initiatives et des développements de recherche et entrepreneuriaux dans ce domaine et nous aborderons aussi dans un futur article le domaine des micro-algues qui peut représenter lui aussi un certain potentiel.
Bonne semaine
Philippe
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