Et si la navigation maritime était capable de montrer l'exemple ?
The Nature Letter on Sunday #034 - Le régulateur international de la navigation commerciale maritime a approuvé le 11 avril un draft de règles permettant de baisser les émissions des cargos maritimes
Dans le monde turbulent que nous connaissons, les bonnes nouvelles sur le climat sont rares et quand elles adviennent, elles ne sont que rarement célébrées.
C’est notre rôle de pouvoir identifier ces «signaux faibles« qui pourraient indiquer une évolution de notre société et de nos économies vers le monde à bas carbone que nous espérons tous.
La bonne nouvelle que nous avons ainsi repérée récemment concerne la signature début Avril 2025 par l’Organisation Maritime Internationale (OMI)/International Maritime Organization (IMO) d’un projet de réglementation destinée à permettre la réduction des émissions de la navigation maritime.
Cette nouvelle résonne aussi avec une nouvelle réglementation européenne, la FuelEU Maritime Régulation, en place depuis le 1er Janvier 2025. Celle-ci demande une réduction dès cette année de 2% de l’intensité en émissions fossiles des navires marchands.
Nous faisons donc le point à cette occasion sur le sujet des émissions produites par le secteur maritime, les éléments clefs de ces nouvelles réglementations et les solutions à long terme pour permettre au secteur maritime d’atteindre le Net-Zéro au milieu du siècle.
Quel est l’état des lieux en matière d’émissions du secteur maritime ?
La navigation maritime transporte plus de 80% des marchandises du commerce international.
C’est aussi un secteur emblématique et à valeur d’exemple car les cargos qui sillonnent l’ensemble des mers du monde sont visibles dans tous les ports de la planète.
Ce secteur émet entre 3 et 4 % de toutes les émissions fossiles de la planète avec plus d’un milliard de tonnes de CO2 émis. C’est à la fois peu relativement à d’autres secteurs mais c’est tout de même considérable en valeur absolue.
L’essentiel des cargos et tankers (environ 50000 navires sillonnent les mers du monde) utilisent des produits pétroliers, dont environ 200 millions de tonnes de fioul lourd et 20 millions de tonnes de gasoil, comme carburants. La mise au point de mode de propulsions alternatifs seront nécessaires à la réduction de la dépendance aux produits fossiles.
Les émissions de la navigation maritime marchande ont de plus tendance à augmenter chaque année avec des millions de tonnes supplémentaires. Elles sont en augmentation pour deux raisons principales :
Les facteurs géopolitiques allongent les routes de navigations :
Les attaques en mer, tout particulièrement des Houthis dans la mer rouge, ont conduit de nombreux bateaux à prendre des routes plus longues et ne plus passer par le canal de Suez.
Les sanctions sur la Russie et la sécheresse dans le canal du Panama (qui est alimenté par le lac Gatùn) ont aussi conduit à des routes plus longues.
L’augmentation continue du commerce international augmentent le traffic maritime d’environ 4% en moyenne annuelle :
Le commerce continue a augmenter du fait de la croissance économique de nombreux pays malgré les tensions commerciales sur les droits de douane.
La Chine et de nombreux pays émergents (Inde, Maroc, Turquie) se positionnent sur le commerce maritime et développent des infrastructures portuaires de plus en plus sophistiquées.
Deux grosses initiatives en cours, la «nouvelle route de la soie» sponsorisée par la Chine et un projet alternatif sponsorisé par l’Inde, Les Etats-Unis, Le Japon et l’Australie vont ainsi permettre d’intensifier les échanges maritimes.
Les nouvelles réglementations vont-elles être efficaces ?
Nous rappelons de manière plus détaillée ce que ces nouvelles réglementations préconisent :
L’OMI a donc émis un projet de règles qui doivent être définitivement adoptées en octobre 2025 :
Le but est d’implémenter les objectifs établis en 2023 qui consisteraient à réduire les émissions de 30% en 2030 par rapport à 2008 et 70% en 2040 par rapport à 2008. Au total, l’objectif est d’atteindre le Net-Zéro en 2050 pour la navigation maritime.
Chaque bateau devra se conformer à un standard de consommation d’hydrocarbures avec un objectif de réduction graduelle chaque année.
Pour chaque bateau se trouvant au dessus de sa limite, il devra s’acquitter d’une contribution. Au contraire, les bateaux vertueux qui s’approcheraient du Net-Zéro eux seront récompensés.
Un «Net-Zéro IMO Fund» sera ainsi créé pour collecter les contributions, récompenser les bateaux vertueux et financer la recherche, permettre l’investissement technologique et aider les pays en voie de développement dans leur efforts.
La «FuelEU maritime regulation» de l’union Européenne
Il s’agit de la mise en place d’une réglementation parallèle à celle de l’OMI. Elle est mise en place dès janvier 2025 pour les cargos entrants et sortants de ports de l’ùnion Européenne. Elle commençe par une réduction de l’intensité de 2% pour 2025 puis en augmentant chaque année avec le même objectif en vue du Net-Zéro en 2050.
Le projet de l’OMI doit néanmoins encore être ratifié en Octobre 2025 pour une mise en application en 2027. Nous notons aussi que les Etats-Unis se sont pas partie prenante à cet accord. Cela n’est en fait pas très gênant car les États Unis sont marginaux dans la navigation maritime avec très peu de navires marchands enregistrés aux États Unis alors que les signataires de l’accord de l’OMI représentent environ 94% des navires immatriculés dans le monde.
Les nouvelles solutions maritimes de transport à bas carbone vont-elles permettre de répondre aux objectifs de transition ?
Ces réglementations ne sont pas décisives en elles-mêmes, mais elles ont l’énorme avantage de donner un signal clair à l’industrie maritime sur la cible qui doit être atteinte sur une vingtaines d’années.
C’est en effet grâce à ces signaux clairs que l’industrie s’est mise en marche pour investir, s’adapter et faire évoluer sa flotte et ses modes de propulsions pou aller vers une navigation plus économe en carbone.
Nous pouvons identifier d’abord les méthodes actuellement utilisées pour commencer à réduire les émissions. Celles-ci agissent essentiellement en faisant évoluer les carburants utilisés par les navires. Les principaux carburants alternatifs disponibles sont les suivants :
Le méthanol et tout particulièrement le bio-ethanol :
Il s’agit d’une possibilité demandant très peu de modifications dans les infrastructures portuaires car le méthanol peut être stocké à température ambiante.
Il est aussi relativement facile d’adapter des moteurs à combustion des navires de pouvoir fonctionner en mode «hybride» et donc de pouvoir utiliser de manière flexible soit les carburants pétroliers soit le méthanol en fonction des possibilités d’approvisionnement.
Le méthanol vert peut être produit à partir de déchets agricoles et le e-méthanol peut être produit en combinant de l’hydrogène vert et du CO2.
Nous pouvons citer un projet de grande ampleur de la compagnie A.P. Moller-Maersk pour sa flotte de 7 cargos et un accord d’approvisionnement signé avec le producteur chinois de bioéthanol LONGI .
Les biofuels :
L’utilisation de biofuel est tout à fait simple car il peut être utilisé par des moteurs classiques de navires sans grandes modifications.
Il est déjà utilisé quotidiennement par la navigation maritime même si c’est en très faible quantité. Par exemple les statistiques d’approvisionnement de carburants dans le port de Singapore montre déjà son utilisation (biofuel pour 3% du total).
Le biofuel est toutefois une alternative qui n’a pas forcément un potentiel gigantesque compte tenu des limites à la production et la compétition avec d’autres utilisations (transports aériens, agriculture etc)
Le gaz naturel liquéfié (GNL) :
Il est déjà utilisé et les moteurs sont facilement adaptables pour le GNL .
Il peut être produit sous forme de Bio-LNG ou de e-LNG
En revanche sous sa forme non verte, il ne réduit que de 20% les émissions car c’est tout de meme un combustible fossile. Et il peut générer des émissions de méthane.
Cette solution nous semble donc la moins prometteuse et ne peut être réellement promue au delà d’utilisations en transition.
Des solutions plus innovantes et potentiellement plus performantes sont en cours de développement assez rapide grâce à des start ups et des investissements des grands industriels du transport maritime :
Utilisation de l’ammoniac comme carburant dans une pile à combustible :
Nous avons vu l’énorme potentiel de l’ammoniac dans notre article sur le sujet («connaissez vous L’ammoniac?«)
Ils n’émet aucun CO2. Il est dense en énergie et il est plus efficace que l’hydrogène. Il peut être utilisé dans un moteur à combustion interne mais aussi dans une pile à combustible.
Il peut être fabriqué avec de l’hydrogène vert et du nitrogène de l’atmosphère.
Les premières expérience ont lieu et nous pouvons citer notamment le projet de Fortescue Green Pioneer qui navigue avec deux de ses moteurs en énergie duale fonctionnant à l’ammoniac ou au diesel.
L’utilisation du vent («Wing Sailing») :
L’utilisation de voiles ou mécanismes utilisant le vent peut réduire de 10 à 30% la consommation.
Au delà de la réduction en énergie, cela peut aussi permettre de faire des routes plus longues sans escale ou avec moins de carburants ou énergie car cette énergie opère en complément.
Une photo ci dessous montre la photo de la silhouette du Berge Olympus. D’autres expériences sont en cours comme le Pyxis Océan de la compagnie Cargill.
L’utilisation de la technologie pour l’optimisation des routes et l’économie de carburant :
Des start ups mettent au point des solutions s’appuyant sur des senseurs météo dans l’océan et de l’intelligence artificielle permettant d’optimiser les routes de navigation et économiser de l’énergie. Nous pouvons citer l’exemple de Sofar océan.
Le nettoyage écologique systématique des coques permet de réduire la «trainée» du bateau et lui permettre de mieux glisser. Ce faisant, il est possible de faire des économies d’énergie (possiblement 10% ). Nous pouvons citer les exemples des start ups Hullbot et de Roboplanet.
La Capture de CO2 à bord des navires anciens non encore amortis :
Cette technologie peut être utilisée tout particulièrement pour les anciens navires (50000 navires sont en circulation!) et sera probablement indispensable pour atteindre le Net Zéro dans le secteur maritime.
Nous pouvons citer des initiatives assez nombreuses sur ce créneau, avec un exemple de bateau en Norvège, les sociétés seabound, calcarea, value maritime.
En conclusion, nous retenons donc que la navigation maritime s’engage positivement sur une trajectoire de réduction des émissions.
La progression vers l’implémentation d’une réglementation incitative semble encourageante.L’Europe et L’IMO ont un plan crédible en ce sens.
Les solutions permettant d’utiliser des carburants alternatifs sont en développement rapide et devraient permettre de stabiliser puis progressivement réduire l’utilisation des produits fossiles traditionnels comme le fioul lourd pour s’orienter vers des carburants plus verts (ammoniac vert , les bioéthanols et les biofuels).
Les innovations permettant de réduire la consommation d’énergie ou de capter et stocker le CO2 se développent aussi progressivement.
Il faut néanmoins rappeler qu’il y a 50000 navires en service! Il faudra donc du temps, des investissements et de l’engagement sur de multiples années pour arriver à un transport maritime bas carbone.
Nous suivrons donc l’évolution de l’adoption de ces technologies maritimes et nous vous rendrons compte dans de prochains articles.
Bonne semaine
Philippe
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